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Algérie : Le PST à l'épreuve des évènements

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"A l'époque de l'impérialisme, les tâches nationales démocratiques ne peuvent être réalisées que par la mobilisation de toutes les masses opprimées sous la direction politique du prolétariat. Les régimes bourgeois, même quand leur nationalisme est radical, n'ont aucune chance de réuissir le développement économique, social et culturel dans un monde écrasé par les puissances impérialistes. La révolution socialiste est donc nécessaire, même dans les pays arriérés et dépendants comme notre pays l'Algérie, où elle est le seul moyen de résoudre les problèmes immédiats du travail et de la liberté, du pain, du logement et du bien être social, du savoir et de l'épanouissement culturel, le seul moyen de combattre la domination impérialiste." (Article 3 des Fondements et objectifs du PST, octobre 1989)

"Le mouvement populaire ne s’est pas trompé. Il ne s’est pas tourné contre l’ANP (Armée nationale populaire) dont la fonction consiste à défendre le peuple, ses acquis et son bien-être social, sa souveraineté nationale sur ses richesses, ses frontières et sa souveraineté politique. " (Hocine Bellaloufi, journaliste et militant du PST, 8 avril 2019)

Lorsque les masses - qui restent en temps ordinaire à l'écart de ce qu'il est convenu d'appeler "la vie politique" - font irruption sur la scène de l'histoire, leur surgissement fonctionne comme un révélateur 1impitoyable de la position réelle des différents regroupements politiques existants.

Durant les dernières semaines, les positions politiques du PST ont occupé publiquement une place dysproportionnée par rapport sa surface politique réelle. Il y a une raison à cela.

L'étiquette de "trotskysme" – il faut y mettre des guillemets car la dénomination est en l'occurence parfaitement frauduleuse - a longtemps été accolée en Algérie au PT (Parti des travailleurs). Mais le PT a été immédiatement associé par les masses au "système" honni, et pour cause. Pendant plus d'un quart de siècle, et avec constance, le PT et Louisa Hanoune sa secrétaire générale ont soutenu le régime et particulièrement Bouteflika depuis 1999, présentant ce dernier comme une simple victime de quelques mauvais conseillers. Sidi Saïd, le dirigeant de l'UGTA corrompu et haï des masses algériennes trônait régulièrement aux côtés de Hanoune durant les innombrables conférences internationales dont Hanoune était la coorganisatrice avec le "parti frère" français, le Parti des Travailleurs, appelé ensuite POI.

(Le Parti des Travailleurs en France a succédé au MPPT et s'est constitué sur la base de la liquidation du PCI (Parti communiste internationaliste), organisation trotskyste. Sur la liquidation du PCI, on pourra se référer notamment au texte de Stépahne Just de 1984 (Comment le révisionnisme s'est emparé du PCI). Au Parti des travailleurs a succédé le POI (Parti ouvrier indépendant), simple changement de sigle sans modification de contenu ni de surface politique.

Le Parti des travailleurs a été dirigé par Pierre et Lambert jusqu'à sa mort et Daniel Gluckstein. En 2015, une scission est intervenue, divisant en deux le POI et donnant deux organisations : le POI et le POID. Les deux organisations ont soutenu jusqu'à une date récente toute la politique de Louisa Hanoune et le PT en Algérie. Le POI continue à les soutenir. Le POID a quant à lui constitué en Algérie un petit groupe (le COSI) qui n'émet aucune critique contre la politique de Hanoune. Il est impossible dans le cadre de cet article de développer davantage. Nous renvoyons nos lecteurs aux divers articles sur ce sujet accessibles sur le site “Combattre pour le socialisme".) http://socialisme.free.fr/

Le PST se réclamait également historiquement du "trotskysme". Il était et demeure partie prenante du Secrétariat unifié de la IVe Internationale, dont les dirigeants historiques étaient Mandel, Krivine, Bensaïd. Il conserve des liens d'organisation avec le NPA en France, dont les dirigeants aujourd'hui les plus connus sont Besancenot et Poutou. Le NPA ne se réclame officiellement plus du "trotskyme", mais il conserve une filiation avec ce qu’était précédemment la LCR, laquelle était encore "section française" du Secrétariat unifié.

Le PST n'apparaît pas, à la différence du PT, comme directement inféodé au "système". Sans qu'il faille surestimer son rôle, il a pu dans le passé occuper une certaine place dans les mobilisations de la jeunesse, essentiellement en Kabylie. A ce titre, ses militants ont pu faire l'objet, comme d'autres, de la répression de l'appareil policier du pouvoir ou de la réaction islamiste. Il ne faisait donc pas l'objet d'un discrédit a priori de la part des travailleurs et de la jeunesse.

Voilà pourquoi ses positions peuvent être scrutées par les éléments les plus avancées des travailleurs et de la jeunesse qui se posent la question d'une véritable représentation politique de la classe ouvrière, la question de la construction d'un parti ouvrier dont toute la situation montre la nécessité.

Un spectre hante la bourgeoisie et les bureaucrates syndicaux : celui de la grève générale

Depuis le 22 février, les manifestations du vendredi rassemblent des millions de manifestants contre le régime, pour que le régime "dégage". Même si ce mouvement est composé essentiellement de travailleurs et de jeunes, il draine aussi inévitablement dans un premier temps d'autres couches sociales, y compris cette fraction de la bourgeoisie algérienne dont le développement est "brimé" par "le système". Non moins inévitablement, il charrie son lot d'illusions, en particulier sur la possibilité que l'armée en tant que telle puisse se situer aux côtés des masses, même si ces illusions tendent de plus en plus à se dissiper au fur et à mesure que le mouvement s'approfondit.

En même temps que les manifestations du vendredi continuent à drainer contre le régime ces gigantesques foules de manifestants, se développent de manière continue des mouvements de grève qui peu ou prou touchent tous les secteurs : non seulement le secteur public (enseignement, impôts, Poste et Télécoms, etc.) mais aussi les bastions du prolétarait industriel (hydrocarbures, métallurgie et mécanique, matériel électrique, etc.). Ces grèves reprennent évidemment l'exigence que "le système dégage" mais aussi contiennent des revendications propres au prolétariat (sur les salaires notamment). Il en va de même chez les étudiants, où la tendance à la grève qui s'est renforcée avec le retour des "vacances forcées" décrétées par le régime se cristallise non seulement sur l'exigence de la chute du régime mais aussi "pour une université publique et gratuite", comme l'exprimait une grande banderole dans une des manifestations d'Alger. La multiplication de ces grèves, qui se déclenchent parfois sans mots d'ordre syndicaux, manifestent la disponibilité du prolétariat et de la jeunesse à s'engager dans la grève générale. La conscience diffuse existe que les manifestations du vendredi ne suffiront pas à renverser le régime, que seule la grève générale peut permettre la centralisation du combat pour en finir avec le régime.

Cette menace de la grève générale est prise trés au sérieux par la bourgeoisie dans toutes ses composantes – y compris celle qui se prétend "du côté du mouvement populaire". La direction de la Sonatrach a mis en garde – sans beaucoup de succès d'ailleurs – les travailleurs contre la grève qui aurait pour conséquence "de détruire l'outil de travail". Les mêmes mises en garde ont eu lieu à Rouiba au nom de "la préservation des acquis et de l'outil de travail". Ces mises en garde n'émanent pas seulement de la clique de Sidi Saïd. Elles sont aussi reprises par quelques-uns de ses prétendus "opposants" qui cherchent, en adhérant au mouvement d'opposition à Sidi Saïd, à se refaire une virginité politique.

Citons à titre d'exemple l'interview en date du 15 avril 2019 de Noureddine Bouderba, anciennement dirigeant de l’UGTA et aujourd’hui “conseiller pour les syndicats autonomes” :

A la question : “Est-ce qu’une grève générale des travailleurs peut nuire ou affaiblir le mouvement populaire ?“, Ce dernier, répond :

" Les appels répétés à des grèves générales de la part de parties anonymes ou fantômes qui n’ont aucune implantation au milieu des travailleurs ne sont que des manipulations. Une grève générale qui paralyse les ports et aéroports dans un pays ou 70 % des produits alimentaires et des médicaments sont importés n’aura pour effets que d’empêcher l’approvisionnement de la population en denrées sensibles sans rien apporter aux travailleurs bien au contraire. Arrêter la production du pétrole et du gaz aura des conséquences, parfois irrémédiables sur les installations pétrolières et gazières, les puits et même les gisements. L’arrêt de la production de l’électricité, de l’oxygène et des carburants ainsi que la distribution de ces derniers aura pour effets d’entrainer la paralysie des transports, celle des hôpitaux et des centres de soins ainsi que des boulangeries et des commerces des denrées alimentaires. Les travailleurs ne doivent répondre qu’à des appels non anonymes pour des actions collectives encadrées, répétitives mais non illimitées. Les grèves ainsi déclenchées doivent assurer les activités névralgiques ci-dessus énumérées et assurer un service minimum pour les autres activités essentielles pour la population."

On peut le dire : un spectre hante la bourgeoisie et les bureaucrates syndicaux de tout poil : le spectre de la grève générale. Quant aux "arguments techniques" servis par Bouderba et consorts, notons que s'ils avaient une quelconque valeur, ils vaudraient pour tous les pays et à toutes les époques, contre la grève générale. Ils font comme si les travailleurs étaient incapables dans la grève d'assurer la défense de l'outil de production. A vrai dire, la grève générale met trés immédiatement à l'ordre du jour le contrôle ouvrier sur la production, la distribution et l'approvisionnement. Les bureaucrates syndicaux le savent parfaitement, mais c'est pour eux un cauchemard !

Le PST et la question de la grève générale

Il est donc particulièrement intéressant d'analyser la position du PST sur cette question décisive. Or l'étude des positions successives du PST depuis février est particulièrement instructive. Le PST passe d'une position d'appel formel à la grève générale, à une position... de franche hostilité à cette perspective.

Déclaration du PST le 26 février : sous le sous titre "Préparer une grève générale" :

"Seule une très puissante vague sera en mesure de faire reculer le pouvoir. Il convient donc de multiplier les manifestations, les mouvements de grève sectoriels et locaux à l’image de celle de l’Education nationale des 26 et 27 février. Mais il faudra, à un moment donné, passer à la vitesse supérieure en appelant à une grève générale."

Formellement la déclaration trace la perspective de la grève générale. En même temps, il ne faut pas en cacher les limites. Ce n'est pas pour tout de suite ! "Il faudra à un moment donné...". Mais surtout le PST se garde bien de situer les responsabilités là où elles sont. Car qui détient la clef de la grève générale ? La clef n'est certes pas au local du PST ! Elle est au siège des centrales syndicales : celui de l'UGTA et de la CSA. Combattre sérieusement pour la grève générale, ce n'est pas se contenter d'en jeter l'idée dans une déclaration, c'est combattre pour que les directions syndicales y appellent (dans l'UGTA, ce combat est inséparable de celui engagé pour chasser Sidi Saïd et sa clique).

La déclaration du 12 mars marque une évolution :

"Dans cette perspective, le PST appelle à maintenir et à élargir le processus d’auto-organisation des travailleurs, des femmes, des étudiants, des chômeurs, des citoyens, etc. Le PST appelle à maintenir la mobilisation et les manifestations populaires massives, notamment pour ce vendredi 15 mars, et à maintenir aussi l’option de la grève générale qui vient de prouver que l’irruption de la classe ouvrière dans cette bataille politique sera décisive."

On le voit, le 12 mars, la grève générale n'est plus qu'une "option" (parmi d'autres ?). Et tout en affirmant que "l'irruption de la classe ouvrière dans cette bataille sera décisive", l'appel à l'"auto-organisation" est un appel à ce que cette "auto-organisation" rassemble toutes les classes sociales (comme on n'ose pas y appeler explicitement les patrons, on parle des "citoyens" : mais un patron, un général, un imam sont aussi des "citoyens" !). Reconnaissons à Louisa Hanoune le mérite d'être plus claire : elle qui n'est pas avare de déclarations appelant à la constitution de "comités populaires" dit trés explicitement que les patrons "brimés par le régime" (l'allusion à Rebrab, patron de Cévital notamment est transparente) y auront toute leur place .

Le 20 mars, le PST passe de l'"option" de la grève générale à la grève générale "le cas échéant". Ainsi, M. Rechidi, porte-parole du PST (cité dans https://www.dzvid.com/2019/03/20/le-coup-de-gueule-de-mahmoud-rechidi/) déclare :

“Seule une alliance des structures de l’auto organisation naissante avec les syndicats combatifs des travailleurs et étudiants, ainsi que les associations des femmes et les organisations de lutte du mouvement social d’une part et, d’autre part, le maintien des manifestations et la mobilisation populaire, ainsi que le recours de nouveau à la grève générale le cas échéant, qui finira par imposer un rapport de force politique définitif et fera émerger les structures populaires garantes d’une transition véritablement démocratique.”

Passons à la déclaration du 3 avril. A nouveau, il y est question de la fameuse "auto-organisation", mais lisons tout le paragraphe : "Pour le PST, l’heure est à l’auto-organisation des masses populaires algériennes dans les usines, les universités et les lycées, les quartiers et les villages, au niveau des femmes et des chômeurs, etc., d’une part et, d’autre part, la priorité est à la reconquête de nos libertés démocratiques, notamment les libertés d’expression, d’organisation, de manifestation ainsi que nos libertés syndicales et notre droit de grève. Pour le PST, cette première victoire contre le régime de Bouteflika montre la voie. Notre mobilisation massive, nos magnifiques manifestations et nos multiples grèves ont payé !"

Là, on le voit, "l'option" a disparu. Elle est même en réalité exclue puisque "nos magnifiques manifestations et nos multiples grèves ont payé !"

Les grèves sont opposées à la grève, la grève générale. Elles se suffisent à elles-mêmes selon la direction du PST. Or, s'il est incontestable que le départ de Bouteflika doit tout à la mobilisation populaire, il est non moins incontestable que le régime est encore là avec la menace clairement formulée par Gaïd Salah d'une répression massive, ce dernier n'attendant que des circonstances politiques favorables pour s'y livrer.

Inévitablement, à un moment ou à un autre, se vérifiera l'adage : "Qui n'avance pas recule". Que les manifestations du vendredi s'essoufflent, et les conditions d'une répression violente seront réunies. Et c'est ce sur quoi compte l'appareil de répression, même si la formidable résistance de la mobilisation le contraint à retarder l'échéance.

En clair, plus la perspective de la grève générale est effacée au fil des différents communiqués du PST, plus elle devient urgente en réalité, dans une situation où, justement, "les grèves" montrent qu'elle est possible, que tout dépend du mot d'ordre des états-majors syndicaux.

Une interview de Bellaloufi

Il y a les communiqués "officiels" du PST. Mais il y a aussi les déclarations publiques à la presse ou dans les médias de ses dirigeants. Les seconds ont une diffusion beaucoup plus large, bien sûr. Bellaloufi, militant du PST, écrit dans les colonnes du média en ligne A l'Encontre, dont les liens avec le "Secrétariat unifié de la IVe Internationale" ne peuvent être contestés par personne. On est donc en droit de considérer que les interviews de Belloufi expriment les positions du PST. L'interview de ce dernier repris par DZNews, en date du 8 avril, est plus explicite que les différents communiqués du PST. Nous allons en commenter quelques passages clef :

"La démission du Président a fait apparaître au-devant de la scène le pouvoir réel, le noyau dur du régime. Ce pouvoir réel n’est pas celui de l’ANP. L’armée nationale populaire est constituée des djounoud (soldats), sous-officiers et officiers. Mais le pouvoir réel est celui de la très haute hiérarchie militaire qui constitue le bras armé du régime. De 1962 à ce jour, elle n’a eu de cesse de faire et défaire les Présidents et soutient, depuis 1980, une politique libérale antinationale, antisociale et antidémocratique."

L'opposition entre l' "armée nationale populaire constituée de soldats, sous officiers et officiers" et "la trés haute hiérarchie militaire" constitue une première escroquerie théorique.

Jusqu'à preuve du contraire, l'armée, comme institution d'Etat, est commandée par la très haute hiérarchie militaire. L'opposition n'est pas entre l'armée (dans laquelle il met pêle même officiers et hommes de troupe) et la trés haute hiérarchie. L'opposition est entre les soldats, la troupe, et le corps des officiers. Cette opposition prend corps dans la révolution quand les soldats mettent crosse en l'air ou mieux, apprennent à la hiérarchie que "nos balles sont pour nos propres généraux". Mais dans ce cas, l'armée comme appareil de répression est disloquée. Mais Bellaloufi fait comme si la haute hiérarchie était étrangère à l'armée comme institution. On comprend pourquoi plus tard dans l'interview :

"Le mouvement populaire ne s’est pas trompé. Il ne s’est pas tourné contre l’ANP dont la fonction consiste à défendre le peuple, ses acquis et son bien-être social, sa souveraineté nationale sur ses richesses, ses frontières et sa souveraineté politique. Ils ont par millions scandés : « Djeich-chaab, khawa khawa » (l’armée et le peuple sont frères). Ils en ont fait de même avec les éléments de la police qu’ils se sont abstenus d’affronter lors des manifestations."

C'est le même discours que le PT de Louisa Hanoune. L'armée viserait, voyez vous, le bien être social. Les jeunes Algériens déchiquetés par leurs balles en 1988 n'auront pas le privilège d'apprécier le discours. Et bien sûr, Bellaloufi transforme le plomb en or. Il transforme les illusions qui pourraient être fatales en marque de lucidité. Du reste ces illusions ne tombent pas du ciel. Elles sont quotidiennement alimentées par toutes les forces politiques qui cherchent à contenir le mouvement des masses dans un sens compatible avec la préservation de l'Etat bourgeois.

Ensuite, le même s'en prend à ce qu'il appelle le "courant ultralibéral" dont il donne le programme : "Sous prétexte d’urgence, il vise l’élection d’un Président qui aurait, enfin, la « légitimité » d’imposer au peuple les « sacrifices nécessaires à son bonheur » : fin des subventions aux prix des produits de première nécessité, de l’électricité, de l’eau, du gaz, de l’essence… et aux acquis en matière de santé, d’éducation. Transformation du Code du Travail en Code du Capital, allongement de l’âge de la retraite, blocage des salaires, entraves aux droits de grève et d’organisation syndicale. Ouverture de l’économie algérienne à l’économie capitaliste mondiale par le retour à l’endettement externe, la convertibilité du dinar, l’abaissement total des barrières douanières…"

Trés bien. Cet objectif politique existe incontestablement. Du reste il est porté aussi bien par Gaïd Salah que par ceux qui jusqu'à ce jour prétendent appuyer le "mouvement" (et qui sont largement présents dans les partis politiques "d'opposition" et dans les médias : El Watan, TSA, etc.). Mais nous allons voir que notre dirigeant du PST condamne d'un côté les "ultralibéraux" pour mieux leur proposer un front commun de l'autre. On le voit à travers l'étonnante argumentation pour l'"assemblée constituante souveraine" :

"Dans le climat de politisation de masse actuel, l’idée de Constituante est en train de faire son chemin dans les consciences, contre l’avis du pouvoir et de l’opposition ultralibérale. Les adversaires du retour à la véritable souveraineté du peuple avancent de misérables arguties. La première est celle du « vide constitutionnel ». Ils dramatisent les choses à dessein, en vue d’effrayer la population. Attention nous préviennent-ils, les institutions s’écrouleront si nous sortons du cadre de l’actuelle Constitution. Ils oublient que, de 1962 à 1976, l’Algérie a vécu sans Constitution. Cela n’a pas empêché l’État de fonctionner, de hisser le pays parmi les principaux leaders du Non-alignement, de récupérer les richesses naturelles du sol et du sous-sol, d’améliorer la condition des masses populaires en matière d’éducation, de santé et de travail, de lancer les bases d’une industrie devant lesquelles la misérable économie de bazar actuelle ne pèse pas lourd… "

"Ah ! Qu'elle était belle l'Algérie de Ben Bella et de Boumedienne, du parti unique, de l'inféodation par un coup d'Etat de l'UGTA au pouvoir, etc." Voilà la fable qui nous est servie par Belllaloufi.

Suit un développement sur le fait que nous ne sommes pas dans une situation révolutionnaire. Ce qui est vrai. Mais il y a deux façons d'apprécier cette situation. On peut, comme nous le faisons, constater que l'enjeu fondamental est justement d'aider les masses à s'affranchir de ces limites, à transformer la situation prérévolutionnaire en situation révolutionnaire : le combat pour le front unique, pour la grève générale, le comité central de grève.

On peut à l'inverse, comme c'est visiblement le cas de notre homme, éprouver un lâche soulagement à l'idée que la situation n'est pas révolutionnaire et faire des limites du combat des masses, une preuve... de la sagesse de ces dernières. Citons-le:

"Une situation révolutionnaire ? En dépit des apparences, nous ne sommes pas dans une situation révolutionnaire même si le moment possède incontestablement des potentialités en ce sens. Les choses pourraient bien évidemment changer, mais à l’heure où ces lignes sont écrites, nous n’en sommes pas là. Caractérisée par une dualité de pouvoir dans laquelle ceux d’en bas ne veulent plus et ceux d’en haut ne peuvent plus, une situation révolutionnaire entraîne fatalement, à un moment donné, un affrontement direct entre l’ancien pouvoir finissant et le nouveau naissant, ce qui implique de faire une révolution au cours de laquelle le nouveau pouvoir doit renverser l’ancien et prendre sa place. Dans une telle conjoncture, les révolutionnaires et les secteurs les plus déterminés du mouvement populaire doivent prendre l’offensive pour s’emparer du pouvoir. Or, conscient de sa force mais également de ses limites, le mouvement populaire n’a pas, à ce jour, opté pour la tactique du buffle qui fonce sur sa cible pour la culbuter d’un coup de tête, mais pour celle du boa constrictor qui enserre sa proie et resserre lentement ses anneaux sur elle. Les Algériens manifestent, revendiquent et se rassemblent en semaine ainsi que les vendredis. Les travailleur·se·s et les étudiant·e·s ont recours, à maintes reprises, à la grève. Mais ils n’occupent pas les places de façon permanente et n’adhèrent pas au mot d’ordre de désobéissance civile, comme le fit le FIS en 1991 lors de sa grève insurrectionnelle. Ils ne cherchent pas l’affrontement direct avec la police, mais l’évitent au contraire soigneusement. Ils ne marchent pas sur la Présidence à Alger ou sur le siège des wilayas (préfectures) pour s’en emparer. Ils n’ont pas à ce jour créé de comités populaires qui viendraient doubler les structures officielles de base de l’Etat (mairies) comme ce fut le cas en Kabylie en 2001."

Par parenthèse, précisions que, à propos de 1991, parler du mot d'ordre du FIS de "grève insurrectionnelle", c'est réécrire l'histoire. L'appel du FIS avait été un fiasco, la classe ouvrière dans sa grande majorité ayant refusé de répondre au mot d'ordre du FIS, ce qui était une marque de lucidité et de défiance à l'égard du programme archi-réactionnaire du FIS.

Continuons :

“Dans de telles conditions, quel est l’enjeu politique principal du moment ? Cet enjeu réside dans la capacité ou non du pouvoir à imposer sa solution de replâtrage du régime. Le mouvement doit, à l’inverse, l’empêcher d’atteindre ce but. A quelles conditions le mouvement populaire actuel peut-il y parvenir ? Telle est la question qui se pose à nous. Ce mouvement a des points forts. Il est massif, national, rassembleur (interclassiste, intergénérationnel, mixte, tous les courants d’opposition…). Il a prouvé sa détermination durant six semaines et obtenu des résultats politiques importants, dont la démission de Bouteflika. Il a fait sauter la chape de plomb qui pesait sur la vie politique du pays et ouvert ainsi la voie à une dynamique d’expression (manifestations, grèves…) et d’auto-organisation de masse. Il dispose de potentialités encore inexploitées au sein de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Notons-le, pour Bellaloufi, c'est un point fort du mouvement qu'il soit interclassiste ! Le "révolutionnaire" Bellaloufi ne saurait plus clairement se prononcer pour la soumission du prolétariat à la bourgeoisie. En ce sens, il peut affecter de se prononcer contre les attaques anti-ouvrières (code du travail, subvention des produits de première nécessité, etc.). En réalité, il se prononce pour l'alliance avec la classe sociale dont c'est le seul programme, qui ne peut avoir d'autre programme !

Et voilà pourquoi il est urgent pour le prolétariat, selon Bellaloufi, d'attendre et de ne pas se doter d'un état-major de combat :

"C’est pour cela, que, tenant compte des forces et faiblesses du mouvement, il convient de l’inscrire dans la durée et non de chercher une issue politique immédiate. La mobilisation populaire a besoin de temps pour s’étendre encore, s’organiser à la base, se doter d’une direction comprise, en premier lieu, comme une orientation conséquente et non une improbable structure dirigeante. "

Surtout pas de structure dirigeante ! Plutôt "l'organisation à la base" et puis "inscrire le mouvement dans la durée". Qu'est-ce à dire ? 10, 15, 20 manifestations du vendredi jusqu'à ce que, la lassitude, le défaut de perspectives aidant, elles finissent par s'affaiblir, créant une situation propice au massacre par l'appareil de répression ? Quant à la classe ouvrière, elle est invitée à apporter un peu de piment – un peu mais pas trop ! - au menu. Bellaloufi nous en avertit : "Cela a commencé à se faire par le biais de manifestations et de grèves locales."

On ne saurait plus explicitement non seulement écarter mais combattre la perspective de la grève générale.

Pourtant, après avoir écarté toute idée d'une "improbable structure dirigeante",un peu plus loin, Bellaloufi veut cependant "construire une direction politique conséquente".

De quoi s'agit-il ? Citation :

"Cette direction ne pourra être portée que par un pôle des partisans de l’Assemblée constituante (...) Face au pouvoir et aux forces ultralibérales, la formation d’un tel pôle est une tâche urgente. Le mouvement ne pourra, en effet, avancer et effectuer un saut qualitatif que s’il passe d’une position légitime de refus, à une position de proposition et de mise en œuvre d’une alternative politique. Or, le seul mot d’ordre qui permet au peuple de retrouver sa pleine et entière souveraineté est celui d’Assemblée constituante souveraine. La formation de ce pôle est possible car des partis défendent ce même mot d’ordre qui commence à se frayer un chemin dans la conscience populaire. Le PT, le FFS et le PST sont ainsi placés devant une responsabilité historique. Il ne faut en aucun cas opposer le travail de construction/reconstruction du mouvement populaire à la base à celui de l’action conjointe des forces politiques au sommet. Des collectifs pour une Assemblée constituante souveraine pourraient ainsi être construits conjointement à la base par les militants de ces différents partis et par tous ceux qui partagent cette idée sans être militants d’un parti. Il convient plus que jamais de frapper ensemble, même si chacun marche séparément."

Nous y voilà. Le prolétariat ne doit pas avoir de "structure dirigeante". Mais Bellaloufi propose lui une alliance PT-FFS-PST.

Pour le PT tout a été dit. Mais qu'en est-il du FFS ? Le FFS - en proie par ailleurs à une crise violente qui n'est que la réfraction en son sein de la crise de domination de la bourgeoisie algérienne - n'a jamais caché qu'il était partisan de la propriété privée des moyens de production. Il n'a jamais prétendu parler au nom de la classe ouvrière, mais s'est toujours présenté comme le parti du peuple tout entier. Autrement dit, il n'a jamais prétendu être autre chose qu'un parti bourgeois. Pas de direction du prolétariat donc, mais, par contre, imposer au prolétariat le carcan de l'alliance avec la bourgeoisie. A quoi sert ce carcan, sinon à interdire que le prolétariat fasse valoir ses propres intérêts de classe, interdire que se développe un processus de révolution permanente, processus qui s'engage d'abord sur les revendications démocratiques mais les dépasse dans le cours même de la révolution pour faire valoir les revendications prolétariennes dont le couronnement est le combat pour le gouvernement ouvrier ?

A cet égard, on peut citer ce qu'en disait Stéphane Just en septembre 1991 :

"Dans la lutte pour les libertés démocratiques, lancer en Algérie le mot d'ordre "pour une Assemblée Nationale souveraine est indispensable (dans) un pays qui n'a jamais connu d'autre régime politique que celui dicté par l'impérialisme français au temps de la colonisation, et, après l'indépendance politique, celui totalitaire du FLN (...) Mais il faut en même temps se garder de développer des illusions qui deviendraient des pièges (...) Une Assemblée Nationale Souveraine, compte tenu des rapports politiques existants, ne satisferait pas les revendications économiques, sociales et politiques des masses (...) Une Assemblée Nationale Souveraine ne serait qu'une transition : soit vers le retour à une dictature totalitaire (...) ou vers la dictature du prolétariat. "

Bellaloufi, quant à lui, en enserrant le mot d'ordre de "constituante" dans une alliance politique avec la bourgeoisie, dresse ce mot d'ordre contre la perspective du gouvernement ouvrier, seul à même de satisfaire les revendications des masses.

Ouvrir la discussion

Nous avons placé en exergue de cet article deux citations mises en opposition : les statuts fondateurs du PST qui indiquent que seule la révolution socialiste pouvait assurer la satisfaction des revendications des masses et "le bien être social", et une partie de l'interview de Bellaloufi qui, pour ce qui concerne le "bien être social" en charge... l'Armée Nationale Populaire !

Inutile d'insister sur la contradiction totale entre les deux. Pour des raisons qui devrait faire l'objet d'un autre article, nous estimons quant à nous que même à sa fondation le PST n'a jamais été une organisation révolutionnaire conséquente. Son lien avec le Secrétariat unifié de la IVe Internationale s'est constitué sur le terrain d'une révision du programme de la IVe Internationale pour en inféoder les organisations au stalinisme sous la houlette de Pablo (d'où la caractérisation du Secrétariat unifié comme "pabliste"). En Algérie, le Secrétariat unifié se caractérise par le soutien qu'il a apporté à Ben Bella, dont on sait que l'arrivée au pouvoir procède du putsch de l'”armée des frontières” dirigée par le colonel Boumedienne en 1962.

Il n'empêche : le fait que le PST à sa fondation se réclamait du trotskysme l'avait conduit dans ses statuts à se réclamer - en des termes certes très généraux et abstraits - de la révolution socialiste. On voit que pour un homme comme Bellaloufi, cette référence devient encombrante. Il n'en est pas forcément de même pour tous les militants du PST. Et c'est pourquoi “Maghreb socialiste” invite ces derniers à une franche discussion sur l'orientation à suivre, discussion nécessaire aujourd'hui pour tous ceux qui cherchent la voie de la construction en Algérie d'un Parti ouvrier qui ne pourra remplir sa fonction au service de l'émancipation du prolétariat que sur la base du programme de la révolution prolétarienne.

Le 22 avril 2019

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