maghreb socialiste

Article paru dans Combattre pour le Socialisme n°6 (88) de janvier 2002

La classe ouvrière et la jeunesse algériennes manquent cruellement d'un authentique parti ouvrier

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Après la parution d'un article consacré à l'Algérie dans le numéro 4 nouvelle série de CPS, il est nécessaire d'apprécier les évènements qui ont suivi notamment depuis l'été.

 

Durant tout l'été dernier, et pendant plus de sept mois après leur déclenchement en avril 2001, les “ marches ” et les émeutes se succèdent principalement en Kabylie. Elles prennent une dimension nationale par leur ampleur et surtout parce que quelques-unes d’entre elles se déroulent dans la capitale, Alger. Les masses kabyles se dressent contre le gouvernement Bouteflika et l'état bourgeois, sa police, sa gendarmerie. Dans leur mouvement, elles cherchent à entraîner l'ensemble de la jeunesse et de la classe ouvrière algériennes qui, exténuées, exploitées, méprisées, ne désirent qu'une chose : en finir avec le gouvernement Bouteflika installé par l’armée.

 

Et pourtant, malgré une situation explosive dans tous les secteurs, malgré une vague de mobilisations impressionnante, une succession de grèves, le pouvoir, le gouvernement est resté en place, et avec lui, la gendarmerie, la police, les chefs militaires. Et ce sont les émeutiers que l'on traduit en justice.

 


Une situation catastrophique


L'Algérie est dans un état dramatique. En Kabylie, à l'est, au centre, à l'ouest du pays, la population crie son désespoir et sa révolte contre le chômage (30 % de la population active selon les statistiques officielles), un pouvoir d'achat misérable, des salaires impayés depuis des mois dans de multiples secteurs, la corruption et une répression féroce.

En plus de la terreur que font régner les attentats attribués aux « groupes islamistes », les conditions de vie des masses ne cessent de se dégrader, au point que réapparaissent des fléaux du Moyen Age (choléra, fièvre typhoïde, rage, etc.).

 

Insalubrité, pénurie, sécheresse, catastrophes (qui n’ont rien de naturel), viennent empirer ces conditions d'existence désastreuses. Elles sont les conséquences d’une politique menée par un gouvernement bourgeois vertébré par la hiérarchie militaire. Toute la situation de la classe ouvrière et de la jeunesse se résume dans ce cri (plus qu'un mot d'ordre) que de jeunes manifestants lançaient à Khenchela : « On a faim! ».

 

Pendant ce temps, le gouvernement tente d'accélérer le processus de privatisation des entreprises publiques, au rythme bien lent jusque-là, si l'on en croit les maigres résultats accumulés depuis 1995, en raison des réticences de toute une bureaucratie corrompue, attachée à ses privilèges et à ses postes. Pour la classe ouvrière, les conséquences de ces privatisations se traduiraient par des centaines de milliers de suppressions d'emplois.


Plusieurs « marches » locales ou nationales…


A l'appel de la Coordination des archs, daïras et communes se déroulèrent plusieurs « marches », tant en Kabylie qu'à Alger. Sans revenir sur le mouvement dans son ensemble (voir dans CPS n° 4 Nouvelle série), reprenons le fil des événements.

Depuis celle du 31 mai 2001, qui réunit des centaines de milliers de manifestants à Alger d'autres « marches » eurent lieu.

Le 14 juin fut l’un des moments les plus forts de la mobilisation des masses. L’objectif déclaré des organisateurs était de remettre ce jour-là, au président de la République Bouteflika, la plate-forme d’El Kseur élaborée quelques jours auparavant. Conscient de l’impact politique que ces manifestations de centaines de milliers de jeunes et de travailleurs dans la capitale avaient sur l’ensemble de la classe ouvrière algérienne, le pouvoir multiplie à cette occasion les provocations (casses, lynchages de manifestants et de journalistes par des bandes encadrées par la police). Cette situation sera utilisée comme prétexte à un déchaînement de la répression (à Alger comme en Kabylie) et à l’interdiction d’autres « marches » dans la capitale. D'ailleurs, des tentatives de provocation avaient déjà eu lieu le 31 mai.

 

La « marche » du 14 juin est soutenue en particulier par le RCD, le MDS, le FFS, partis qui déclarent vouloir en finir avec « un système autoritaire ». Le PT, lui, considère que

« les institutions de l’état et à leur tête le président de la République sont responsables et comptables devant la nation. Elles doivent prendre les mesures politiques à la hauteur de la gravité de la situation, de l’enjeu du moment, à savoir la préservation de la nation algérienne ».

On appréciera cet appel au pouvoir à se montrer plus « responsable »… alors que des centaines de milliers de manifestants exigent que soit chassé ce « pouvoir assassin » et cherchent les moyens d'y parvenir.

 

Depuis le début du mois de juin, le mouvement se propage dans des régions de l’est (Khenchela, Annaba, Skikda, Guelma…) et le sud du pays. Des comités naissent hors de Kabylie, chez les étudiants d’Alger, les enseignants, les fonctionnaires… Mais en même temps, cette mobilisation commence à s’épuiser faute de perspective politique.

 

Le pouvoir met à profit cette impuissance et cette confusion politiques pour accentuer répression et provocation, créer un véritable climat de terreur en Kabylie, empêchant les gens de sortir de chez eux ou d’y entrer, pourchassant les jeunes, etc. D’ailleurs, la commission Issad, nommée par le gouvernement et chargée d’enquêter sur les responsabilités dans le déclenchement des événements, ne cache même pas que:

« la réaction violente des populations a été provoquée par l’action non moins violente des gendarmes » qui ont  « nourri et entretenu l’événement » par des « tirs à balles réelles, saccages, pillages, provocations de toutes sortes, propos obscènes et passages à tabac ».

De plus, l’Assemblée nationale a adopté fin mai les amendements au Code pénal durcissant la répression contre les journalistes « en cas de diffamation des corps constitués ». Une volonté de bâillonner la presse.

 

Le 25 juin, des dizaines de milliers de personnes défilent à Tizi Ouzou en souvenir du chanteur Matoub Lounès assassiné le 25 juin 1998. Le 5 juillet, la coordination des villages de Kabylie appelle uniquement les délégués des Comités de villages à manifester à Alger. Là encore, il est question de remettre la plate-forme d’El Kseur à Bouteflika. La « manifestation » est interdite et la police bloque l'entrée d'Alger aux quelques centaines de personnes qui souhaitaient s'y rendre. De véritables moyens de guerre sont mis en œuvre pour isoler totalement la Kabylie.

Le 8 août, la Coordination des tribus et villages de Kabylie appelle à nouveau à « marcher » à Alger malgré l’interdiction. A cette occasion, une grève générale en Kabylie à l’appel de la Coordination est largement suivie. A nouveau, les forces de l’ordre parviennent à interdire l’accès de la ville à des dizaines de milliers de manifestants.

 


… mais pas d'engagement d'ensemble de la classe ouvrière


Qu’a-t-il donc manqué à cette force formidable, à cette combativité extraordinaire de la jeunesse et de la classe ouvrière pour aboutir ? Entre ces « marches », on assiste quotidiennement, ici et là, à des grèves, sit-in, blocage de routes, émeutes, etc.

Le 20 août : plus de 100 000 personnes « marchent » dans la région d'Ifri Ouzellaguen, dans la vallée de la Soummam, village qui abrita le « congrès de la Soummam » en 1956, moment fort du combat du FLN contre le colonialisme français. Les organisateurs disent vouloir « se réapproprier cet événement important de l'histoire du peuple algérien » et, de ce fait, les officiels et, dit-on, Bouteflika, auraient renoncé à s'y rendre. Cependant, participent à cette manifestation des députés du FFS (Front des forces socialiste) et du RCD, partis à forte implantation kabyle.

 

Ici a lieu tous les ans la célébration de l'insurrection. Pour l'occasion, la Coordination avaient adopté une déclaration intitulée : « 1956-2001, le combat continue ». On peut lire dans cette déclaration :

« c'est dans le sens de se réapproprier sa citoyenneté avec tous ses attributs que le peuple, à travers sa jeunesse, consent à des sacrifices immenses. »

Un communiqué publié la veille indiquait :

« l'objectif assigné à cette marche est la réappropriation des dates historiques par le peuple algérien ».

 

Voilà quatre mois que les premières émeutes ont eu lieu à la suite de l'assassinat d'un jeune dans les locaux d'une gendarmerie ; quatre mois durant lesquels on a dénombré, selon la presse, une centaine de morts et des milliers de blessés par balles. La revendication de la classe ouvrière et la jeunesse algériennes, maintes fois clamée est claire : « à bas le pouvoir assassin ! ». Mais cette « marche » du 20 août se donne des airs « citoyens »... C'est la raison pour laquelle, rapporte le Monde,

« les plus âgés des manifestants étaient venus en réponse aux mots d'ordre de la Coordination. En revanche, les jeunes étaient venus hurler leur haine du “pouvoir assassin”. Ils n'hésitaient d'ailleurs pas à tourner en dérision les arouchs en leur accolant le quolibet de arrour (scandales) ». 

 

Par la suite, plusieurs « marches » se déroulèrent, sans jamais atteindre l'ampleur de celles évoquées ci-dessus ; de nombreuses émeutes localisées éclatèrent. La rentrée universitaire elle-même, annoncée comme un test, se passa sans heurt particulier.

 

Malgré des « marches » d'une ampleur considérable, malgré une combativité tenace, les masses se sont heurtées à un mur. Le gouvernement Bouteflika et ses sbires sont restés en place. Il ne s'est pas produit d'extension significative du mouvement hors de Kabylie, malgré une mobilisation importante à Constantine, Guelma, Annaba, Khenchela, Biskra... En particulier il n’y eut pas de grève générale, ce qui aurait indiqué un engagement d’ensemble de la classe ouvrière algérienne. Enfin, la classe ouvrière et la jeunesse n’ont pas constitué leurs propres organes dans le combat qui les opposaient au pouvoir. Tout juste ont-elles cherché, sans illusion, à utiliser les Comités de villages.

 


Retour sur les Comités de villages et la Coordination interwilayas


La Coordination des archs, wilayas, daïras et communes (Tizi Ouzou, Bejaïa, Boumerdès, Bouira, Sétif, etc.) est composée de représentants de diverses wilayas, elles-mêmes regroupant des représentants des archs. C’est à Beni Douala, sous préfecture située à 15 km de Tizi Ouzou, que s’est constituée la première coordination des Comités de villages fin avril 2001. Par la suite, d’autres coordinations virent le jour (à Tizi Ouzou, Bejaïa, etc.) qui donneront naissance à la Coordination interdépartementale.

De l'aveu même de ses dirigeants, la coordination des Comités de villes et de villages kabyles éprouve des difficultés à encadrer la colère de la jeunesse confrontée au chômage, à la pénurie de logements, à la corruption.

Les Comités de villages sont des organismes relevant d'une tradition séculaire de la société kabyle. En berbère, on les nomme "jemaa", qu'il convient plutôt de traduire par "assemblée" ou "conseil" que par "comité".

 

Ces assemblées, explique El Watan du 23 mai 2001,

"assure la prise en charge citoyenne des affaires de la cité en recourant au droit coutumier élaboré en tenant compte, sur la base du consensus, des spécificités sociales locales".

 

Il s'agit donc d'une :

"forme de gestion de la société (qui) a toujours résisté aux avatars historiques vécus jusque-là par le pays. Au temps des Turcs, ce sont ces comités qui ont exprimé le refus de la Kabylie de payer les impôts. (…) Au XVIIIe siècle, ces comités se concertent pour décréter la privation d’héritage pour la femme tout en instaurant des mesures à l’effet de la protéger contre le dénuement. A l’époque coloniale française, ces comités se sont mobilisés à l’effet d’aider l’émir Abdelkader dans sa lutte contre l’envahisseur (…) La naissance du mouvement national (l’ENA en 1926) et les développements qu’il a connus avec la création du PPA en 1937 devenu en 1946 le PPA-MTLD et la mise sur pied de l’OS une année après n’ont pas influé sur ces comités de villages, sachant que la région constitue un des bastions de la révolution. De leur côté, les militants du mouvement national n’ont jamais remis en cause ces instances. Même au temps de la guerre d’Indépendance, ces comités ont continué à jouer leur rôle malgré les tentatives de l’administration locale de les saborder (…). De son côté, le FLN-ALN n’est jamais entré en conflit avec eux. Comme il n’a jamais tenté de les interdire.

Après l’Indépendance, le parti-Etat FLN n’a jamais réussi à imposer ses cellules dans cette région. Cela dit, ce sont ces comités qui fixent les projets d’utilité publique à réaliser comme l’électrification des villages, les adductions d’eau potable, les routes et les réseaux d’assainissement. D’autant que l’état à délaissé la région. Avec l'avènement du multipartisme, ces comités ont continué à activer dans la majorité écrasante de ces villages.(…) »

 

Structures hétérogènes, composées de multiples tendances, fractions, clans d'intérêt divers, ces comités ont été secoués durant toute cette période d'affrontements internes. A l'intérieur du « comité populaire de Béjaïa » par exemple, est intervenue une « rupture bruyante avec des syndicalistes auxquels il est reproché le fait de ne pas s'être débarrassé de leur casquettes » rapporte El Watan du 3 septembre 2001. « Société civile » oblige…

 

Cependant, le consensus est généralement trouvé au sein de la Coordination sur « l'action », ce qui est bien l'expression de l'absence totale de perspective politique, sinon le refus d'en ouvrir une... Ce qui n’empêche pas la Coordination dans son ensemble d’être ouverte au « dialogue avec les partis politiques », c'est-à-dire avec les partis bourgeois. D’ailleurs, la majorité des membres des coordinations sont militants ou sympathisants de ces partis, en particulier du FFS et du RCD dont l’implantation est principalement kabyle.

 

De nombreuses « formes de contestation » sont avancées. C'est ainsi qu'au sein de la Coordination des archs de Tizi Ouzou, il est proposé, le 28 août, de

« boycotter les officiels, la mise en berne de l'emblème national, le port de brassards noirs le jour de l'examen du baccalauréat, la baptisation des lieux et place publics, l'arrêt des activités et les concerts de klaxons et de sirènes pendant dix minutes en Kabylie une fois par semaine, l'extinction de la télévision lors des JT de 20 h, le non paiement des quittances de Sonelgaz, etc. » (El Watan, le 29 août 2001).

Le même journal rapporte que les délégués de la wilaya de Tizi Ouzou ont entrepris des démarches auprès de la police pour que ses agents « reprennent du service » dans les villes de Kabylie. Et de citer ces délégués « Au cas où cette revendication n'était pas satisfaite, de véritables de comités de vigilance seront mis sur pied... ». En fait, tout est ici résumé : la Coordination s'est faite toujours respectueuse de l'état bourgeois.

Quelques jours auparavant, la même Coordination de Tizi-Ouzou avait constitué :

« un dossier contenant des plaintes (des “plaintes” contre des dizaines de morts et des milliers de blessés !) contre le directeur de la Télévision nationale, le ministre de l'intérieur et le commandant de la Gendarmerie nationale. Ce dossier devant être remis à un collectif d'avocats pour donner des suites judiciaires et saisir le TPI (Tribunal pénal international) »... (El Watan, du 23 août 2001)

 


Plate-forme d’El Kseur et « dialogue » avec le gouvernement


C'est donc tout naturellement qu'une partie des « délégués » en vient à prôner, voire à pratiquer le dialogue avec le gouvernement dès la fin juin, au grand dam, il faut le dire, de la majeure partie des autres membres des coordinations, en particulier des « radicaux » qui mettent plutôt en avant la nécessité de « l’action », nous l’avons vu plus haut...

 

Mais ces différentes tendances ont en commun de se réclamer du « mouvement citoyen ». Elles se disent pour cela toutes attachées à la mise en œuvre de la plate-forme d'El Kseur, et ont réaffirmé à plusieurs reprises leur détermination à poursuivre leur combat « jusqu’à la satisfaction pleine et entière de (cette) plate-forme ».

Et c'est bien cela, ce qui peut sembler paradoxal, qui a conduit naturellement une partie de ses membres à opter ouvertement pour le dialogue avec le « pouvoir assassin ».

 

La plate-forme comprend 15 points parmi lesquels on relève : « la prise en charge urgente par l’Etat de toutes les victimes blessées et familles des Martyrs de la répression durant les événements » ; « le jugement par les tribunaux civils de tous les auteurs, ordonnateurs et commanditaires des crimes et leur radiation des corps de sécurité et des fonctions publiques » ; « le départ immédiat des brigades de gendarmerie et des renforts des URS » ; « l'arrêt immédiat des expéditions punitives, des intimidations et des provocations contre la population » ; « satisfaction de la revendication amazighe dans toutes ses dimensions (identitaire, civilisationnelle, linguistique et culturelle) sans référendum et sans conditions, et la consécration de tamazight en tant que langue nationale et officielle » ; « un état garantissant tous les droits socioéconomiques et toutes les libertés démocratiques » ; « contre les politiques de sous-développement » ; « institution d'une allocation de chômage... ». Etc.

 

Un programme politique fort impressionnant… qui oublie les mots d'ordre repris inlassablement par des dizaines de milliers de jeunes durant les multiples « marches » tant locales que nationales : « à bas le pouvoir assassin » et « Bouteflika dehors ! ».

 

En réalité, la Coordination met accent sur le « mouvement citoyen » et la « société civile », dont d’ailleurs les comités de village sont traditionnellement l’expression.

 


Autonomie de la Kabylie ?


L’objectif déclaré de la Coordination est une « Algérie algérienne et plurielle », en sous-entendant éventuellement l’autonomie de la Kabylie, dans le cadre de l’état bourgeois algérien.

Ferhat Mehenni, dirigeant du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) et par ailleurs militant du MCB (Mouvement culturel berbère) déclare :

« La notion d’autonomie de la Kabylie vise à doter la région d’institutions politiques (Parlement, exécutif…) à même de lui assurer un décollage économique, prendre en charge sa langue et son école, asseoir sa stabilité civile et sécuritaire avec des mécanismes d’articulations sur les structures étatiques algériennes. (…) L’autonomie va alléger l’état central des lourdes missions qu’il n’arrive plus à assurer comme la sécurité, l’éducation, l’économie pour ne se consacrer qu’à celles qui sont vitales pour la nation comme la défense nationale, la diplomatie, l’émission et le contrôle de la monnaie. » Et un peu plus loin : « La plate-forme d’El Kseur est respectable en elle-même. Les courants politiques qui ont présidé à son élaboration l’avait empêchée de franchir les limites de l’Etat-nation. » Mais, « le dépassement logique de cette plate-forme n’est autre que l’autonomie, sinon que vaut la revendication du départ des gendarmes de Kabylie ? ».

 

« Autonomie », « refondation nationale » (RCD) ou « régionalisation positive » (FFS), il s’agit en définitive de protéger l’état bourgeois, voire de suppléer à ses carences comme le montre la citation ci-dessus, enfin de gommer que, au point de départ, c’est la classe ouvrière et la jeunesse qui posent la question du pouvoir et qui lui cherchent une solution ouvrière. Mais la classe ouvrière n'a pas les moyens d'imposer ses propres solutions, à savoir un gouvernement ouvrier, car il lui manque un parti. Là réside son impuissance.

 

Refuser de poser la question du pouvoir implique d'accepter le gouvernement bourgeois de Bouteflika, ou de le remplacer par un autre gouvernement de même nature, celui-ci semblant avoir fait son temps aux yeux de la bourgeoisie algérienne qui tente de se libérer du carcan de l’armée qui coiffe tout et qui décide de tout.

 


Encore une fois, la question du pouvoir


Les masses kabyles se sont battues pour voir leurs revendications satisfaites, pour obtenir des conditions de vie décentes. Par leur mobilisation, elles ont posé la question du pouvoir, rencontrant un écho considérable auprès de la classe ouvrière et de la jeunesse algériennes.

 

Comment arracher ces revendications ? A défaut de perspectives politiques, le mouvement ne peut que se diriger vers l'impasse, quelles que soient par ailleurs la volonté et l'énergie déployées par la classe ouvrière et la jeunesse. Le « mouvement citoyen » dont se réclame la coordination des archs ne lui offre aucune perspective. En fait, cette coordination tire sa force uniquement de l'extraordinaire combativité de la classe ouvrière et particulièrement de la jeunesse.

 

A l'intérieur de la Coordination, face aux « dialoguistes », les « radicaux » considèrent que s'il est « hors de question de céder à ceux qui veulent renier les sacrifices des émeutiers et le sang des martyrs tombés lors du printemps noir », « la rue parlera encore jusqu'à la satisfaction de la plate-forme d'El Kseur ». La « rue ». Mais quel est l'objectif politique ? Aucune revendication ne peut être satisfaite sans infliger une défaite au gouvernement Bouteflika. De ce point de vue, il est particulièrement significatif que, durant toute cette période, aucun appel à la grève générale des travailleurs algériens ne fut lancé par ces coordinations.

 

Ces coordinations ont été portées par le mouvement des masses. Mais leur nature et leur orientation politiques leur interdisaient de répondre aux attentes de ces dernières, même si certains ont pensé pouvoir leur faire jouer un rôle qu'elles n'ont jamais prétendu jouer.

 


La politique de l'UGTA


L'UGTA est un vieux complice du pouvoir en Algérie. Syndicat unique dans les faits, ce qui est contraire à la Constitution algérienne qui prévoit le pluralisme syndical depuis 1990, conquête imposée par le mouvement des masses, il bénéficie de larges concours financiers de l'état algérien et de généreuses prises en charge par les entreprises publiques. L'époque n'est plus où les travailleurs étaient obligés d'acheter une carte d'adhérent à l'UGTA... Selon certaines estimations, l'UGTA compterait aujourd'hui près de 100.000 adhérents.

 

A côté, ont émergé toute une série de syndicats autonomes dont le SNAPAP (Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique), le SNMCC, l'UNPEF, le SATEF, le SNPSP, le SAL, le syndicat des marins... réunis dans une Confédération algérienne des syndicats autonomes (CASA).

Au lendemain de la manifestation du 14 juin au cours de laquelle le pouvoir organisa de violentes provocations (voir plus haut), l'UGTA vole au secours du gouvernement. Elle « réprouve toute contestation se traduisant par des actes de violence et de destruction des biens publics et privés… » Par ailleurs, indique le Quotidien d’Oran du 20 juin, l’UGTA considère que la solution passe par un « dialogue national » de « l’ensemble des forces vives de la nation » (dont l’armée si l’on comprend bien, ndlr). L’UGTA appelle « à la vigilance, à la sagesse et à la lucidité » pour « dépasser l’étape difficile que traverse actuellement le pays ».

 

Pour compléter le tableau, l’UGTA a organisé cet été, une grève de deux jours, à l'appel de la Fédération nationale des travailleurs du pétrole contre :

« la détérioration dangereuse de la situation des entreprises (…) dans le domaine du plan de charge des entreprises, doublé de l'absence d'une stratégie de groupe claire à même de renforcer le redéploiement du groupe Sonatrach, depuis la reprise en main de la direction générale du groupe Sonatrach par le ministre lui-même ».

 

Aucun mot sur les travailleurs et leurs conditions de travail. La direction du l'UGTA se pose en conseilleur du gouvernement, ce qui fut également le cas lors d'une grève le 20 mars 2001 qui avait pour but de protester contre l'éviction de l'ancien directeur général…

 


Les prochaines échéances politiques


Quel sera l'avenir de Bouteflika après ces mois chaotiques ? Ce dernier déclarait le 19 juin, après la violente répression de la manifestation du 14 : « je ne suis pas un commandant qui laisse son navire couler. je suis là, je reste selon la volonté du peuple algérien qui m'a élu. » (on sait dans quelles conditions… voir CPS n°4 nouvelle série). Les prochaines élections présidentielles sont prévues pour 2004. Survivra-t-il politiquement jusque-là alors que sa « concorde civile (ou nationale) » a fait long feu ? 2002 devrait voir l’organisation d’un référendum voulu par Bouteflika visant à modifier la Constitution pour doter le président de la République de pouvoirs supplémentaires. Se tiendra-t-il ?

 

De plus, les élections législatives sont prévues pour le printemps de la même année. Elles seront suivies d'élections municipales. Déjà les partis s'y préparent. A. Benflis, l’actuel Premier ministre, a été nommé secrétaire général du FLN depuis quelques mois. De toute évidence pour se disposer en vue des prochaines échéances électorales. Il n’a pas masqué ses désaccords avec président Bouteflika, alors qu’il avait été le directeur de la campagne électorale du candidat Bouteflika. A. Ouyahia, ministre de la Justice, est à la tête du RND, le parti fabriqué de toutes pièces avant l’élection de Zéroual.

 

Ces élections seront-elles l’occasion d’avancer les présidentielles ? Il est probable que la bourgeoisie algérienne et le corps des officiers ne cherchent pas à bousculer le calendrier, même s’ils considèrent que Bouteflika a fait son temps. Leur intérêt leur commande de s’en accommoder encore quelque temps. Et ils peuvent d’autant mieux le faire qu’il n’existe pas un mouvement suffisamment fort de la classe ouvrière pour chasser le « pouvoir assassin ».

 

De la même manière, les états impérialistes étrangers ont tout intérêt à ce que les choses changent sans heurt majeur. Même si les capitaux étrangers s’investissent timidement en Algérie (0,2 % des capitaux européens par an contre 14 et 11 % respectivement pour le Maroc et la Tunisie), ce pays est l’objet de toutes les convoitises en raison de sa richesse en hydrocarbures.

 

Pour cette raison, le pouvoir algérien bénéficie du soutien des états impérialistes européens, en particulier de l'impérialisme français, et de l’impérialisme américain, qui souhaitent voir l'Algérie plus stable. C’est pourquoi H. Védrine déclarait le 19 juin à l'Assemblée nationale :

« La France (…) est très sensible à cette demande, ce désir, cet appel qui monte des profondeurs du peuple algérien vers de vrais changements, vers la reprise de cette modernisation politique, démocratique, économique, sociale. C’est pour cela qu’ensemble, à Quinze, à Göteborg, nous nous sommes exprimé pour (…) lancer un appel à tous les responsables algériens (…) pour qu’ils prennent une initiative politique de grande ampleur. »

 


A bas le pouvoir assassin ! A bas le gouvernement Bouteflika ! Pour un authentique parti ouvrier !


Les événements récents d’Algérie désignent clairement ce qui manque cruellement à la classe ouvrière et à la jeunesse algériennes : un authentique parti ouvrier combattant sur un programme ouvrier, revendiquant le pouvoir et luttant à la tête de la population laborieuse pour le prendre et constituer un gouvernement ouvrier. Il se produira certainement d’autres explosions de ce genre. Mais il serait criminel d’entretenir des illusions : l'absence d'un tel parti entraver considérablement la combativité et la spontanéité des masses, qui se sont exprimé récemment de manière exceptionnelle, les privant de débouché politique. Dans les conditions actuelles, elles continueront à se heurter aux plus grandes difficultés politiques pour atteindre l'objectif du renversement du gouvernement bourgeois, de l’Etat et ses institutions (la police, la gendarmerie, l’armée…). C’est ce que doivent expliquer les militants révolutionnaires afin de combattre en ce sens. C’est la seule perspective qui puisse aboutir à une solution d’avenir.

 

En attendant, il faut réaffirmer avec les masses et la jeunesse algériennes :

- à bas le pouvoir assassin !

- à bas le gouvernement Bouteflika !

- à bas junte militaire qui le soutient et le vertèbre !

satisfaction des revendications !

- front unique des organisations ouvrières de France pour soutenir la classe ouvrière et la jeunesse d’Algérie !

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