A propos de « l’élection présidentielle » qui vient de se dérouler, Maghreb socialiste écrivait dans sa déclaration du 4 juin 2024 :
« La prochaine élection présidentielle a pour objectif de consolider la position du régime et de ses thuriféraires
Dans ces efforts pour rétablir le régime, la junte militaire a besoin d’une légitimation qui passe par l’opération plébiscitaire que constitue la prochaine élection présidentielle. La succession des différents processus électoraux inaugurés avec l’élection de Tebboune en 2019, avait déjà cet objectif. Mais les braises du Hirak ne s’étaient pas totalement éteintes. La trahison des bureaucrates, qui ont permis que le processus électoral se réalise, n’a pas suffi, au vu de l’abstention massive lors de l’élection présidentielle de 2019.
Il leur faut donc aujourd’hui qu’une élection se déroule sans accroc. Le dispositif est en place : inutile de préciser que l’élection n’aura aucun caractère démocratique. La constitution a été réformée dans un sens qui permet de criminaliser toute attaque contre la présidence au nom de l’atteinte à la sûreté de la nation, de l’état… Ajoutons à cela le parcours du combattant à effectuer pour obtenir les signatures nécessaires pour être candidat, et surtout le fait que le régime, qui ne peut s’accommoder d’une candidature ouvrière indépendante, a aujourd’hui tous les moyens pour l’en empêcher. Seuls les partis disposés à accepter d’avance l’élection de Tebboune pourront jouer le rôle de « lièvres », dans la perspective d’en tirer des subsides… »
La mascarade du 7 septembre dernier a confirmé d’une manière éclatante ce que nous écrivions trois mois plus tôt.
La revue El Djeich, organe officiel du la hiérarchie militaire, le relève, le scrutin s’est déroulé « sans accroc » :
« Grâce à leurs efforts [de l’Armée et des services de sécurité – NDLR], le processus électoral s’est déroulé dans une atmosphère de tranquillité, de calme et de paix, permettant au peuple algérien d’exprimer librement son choix. »
En effet, les seuls « accrocs » furent ceux que l’on releva entre les représentants de l’État, walis et chefs de daïras, avec les mairies et les chefs de centre de vote, lorsque les chiffres annoncés étaient trop près de la réalité.
Même si le rejet massif de ces élections s’est traduit par un très faible taux de participation, vraisemblablement en-dessous de 10 %, ce scrutin s’est passé dans un calme total : une indifférence, signe d’un net recul, qui tranche radicalement avec le scrutin du 12 décembre 2019 durant lequel s’était exprimé une volonté de boycott actif allant jusqu’à la casse des urnes dans certaines localités.
Malgré les couacs apparus au moment de la proclamation des résultats, notamment les chiffres contradictoires fournis par l’ANIE, immédiatement rectifiés par le pouvoir qui ne pouvait accepter que soit dévoilée l’abstention massive, le régime a remporté une victoire, dans une « élection » dont il ne faisait aucun doute qu’elle serait entachée d’irrégularités, les recours aux challengers, d’ailleurs agréés par le pouvoir, n’étant qu’une manœuvre visant à légitimer le scrutin.
La sortie médiatique d’Amar Takdjout, secrétaire général de l’UGTA, deux jours après le jour du vote et très largement reprise par la presse, constitue l’autre évènement notable de la situation.
Non content d’avoir appelé durant la campagne électorale à une « participation massive à ce rendez-vous électoral », ce fidèle exécutant de la feuille de route de Tebboune a affirmé avec force que les nouvelles lois antigrèves et antisyndicales de février 2023 devaient être respectées. El Watan du 10/09 le cite :
« Les lois sont faites pour être appliquées et respectées. Sans cela, c’est l’anarchie qui s’installe. Je suis frappé par la légèreté avec laquelle elles sont parfois traitées. » Le journal ajoute : « Il a notamment pointé du doigt ce qu’il nomme « l’hostilité » face à la loi 23-02, régissant l’organisation du monde du travail. « Les gens ont du mal à l’accepter. » (…) Par le passé, les syndicats servaient davantage les intérêts de cercles occultes que ceux des travailleurs. Cette loi vise à assainir cette situation. »
Pour ce bureaucrate, c’est aussi et surtout le moment de passer à l’acte. Avec la « réélection » de Tebboune, il s’agit de mettre les travailleurs sous la coupe du « dialogue social ». Pour Takdjout, la concertation pour construire « l’Algérie Nouvelle » de Tebboune, doit impliquer tout le monde. Aussi s’est-il fait le porte-voix de Tebboune lors de l’investiture de ce dernier à l’élection présidentielle. Citons toujours El Watan du 10 septembre :
« Pour relancer le dialogue social, [Takdjout] propose de recréer « l'ensemble des espaces de discussion, des espaces d'échange et de compétition d'idées ». Selon le premier responsable de la centrale syndicale, « ce dialogue passe nécessairement par des passerelles comme les partis politiques afin d'engager des discussions à caractère politique, les syndicats pour les questions socioéconomiques et les associations pour discuter des choses de la cité ».
L’objectif de cet adepte de la culture du « dialogue social » est de mettre le travailleur sous la coupe des exigences du capitaliste, du patron, des intérêts de la classe dominante. C’est ainsi qu’il préconise :
« Le dialogue social, qui est aussi synonyme de ce travail d'ensemble, est un outil pour mettre tout le monde au travail (...) ».
À propos des engagements présidentiels, il indique que «la revalorisation du pouvoir d'achat ne peut aller sans impliquer les travailleurs dans la création de la richesse ». Et d'ajouter : « Aujourd'hui, le patron doit cesser de faire semblant et les travailleurs doivent arrêter de faire semblant de travailler[souligné par nous]. Tout le monde doit se mettre sérieusement au travail pour créer de la richesse qui améliore, par voie de conséquence, le niveau de vie. »
Et comme secrétaire général de l’UGTA, il avertit : gare à ceux qui n’obtempèrent pas : « Dans ce contexte, il préconise aux syndicalistes d'« accomplir leur travail là où ils sont ». (El Watan du 10 septembre 2024)
C’est aussi dans cette interview de la Chaine 3 qu’il jette les jalons pour une réforme des retraites :
« Enfin, le secrétaire général a plaidé pour la mise à la retraite des travailleurs après 32 ans de service. Il affirme à cet effet : « Il faut permettre aux salariés qui souhaitent partir de le faire. Aujourd’hui, on entre tard dans le monde du travail, et ceux qui demandent la retraite après 32 ans de service sans avoir atteint l’âge requis sont peu nombreux. » (El Watan du 10 septembre 2024)
Le secrétaire général de l’UGTA s’inscrit ainsi totalement dans la co-élaboration des contre réformes et la remise en cause des maigres garanties collectives des travailleurs
Au final, si cela devait encore être démontré, cette « réélection présidentielle » avait pour objectif de permettre à Tebboune de poursuivre la mise en œuvre de sa feuille de route prédatrice pour l’écrasante majorité des démunis de ce pays au profit de la bourgeoisie, et surtout de favoriser la mainmise de l’impérialisme sur toutes les richesses de l’Algérie.
Il convient enfin de dire quelques mots de la position du PT, la seule organisation politique se réclamant des travailleurs encore autorisée par le régime. Juste après l’annonce des résultats par l’ANIE, sa représentante, L. Hanoune, a produit un long réquisitoire sur les conditions de la tenue de ce scrutin, sans toutefois ouvrir la moindre perspective saisissable, comme à son accoutumée. De plus, elle indique sans vergogne :
« Alors oui la fuite en avant, l’autisme des autorités ont provoqué un sursaut national sous forme d’une abstention et de votes nuls record.
Et en réalité, de la « compétition » électorale du 7 septembre, c’est la majorité du peuple qui est sortie vainqueur.
Certes nous n’avons pas participé au scrutin, mais nous avons suivi la campagne électorale la plus morose depuis 1997 en l’absence du peuple, et étudié les programmes électoraux dont la similitude sur des questions essentielles étaient glaçantes. »
Incontestablement, elle regrette l’époque heureuse des scrutins de l’ère Bouteflika, durant lesquelles, elle occupait une certaine place, celle de flanc-garde du régime. Aujourd’hui, Tebboune et la junte militaire ne lui laissent même pas cette place, puisqu’elle a été contrainte de renoncer à sa candidature…
Cela dit, rapidement, le PT s’est empressé de passer l’éponge sur le scrutin du 7 septembre pour s’ancrer au discours d’investiture de Tebboune afin de réclamer de ce dernier un « véritable dialogue national ».
C’est le sens du passage suivant de sa déclaration :
« Il s’agit pour nous d’ouvrir des perspectives réelles à la nation dans un contexte mondial lourd de dangers pour l’humanité, pour la civilisation humaine pour l’intégrité des peuples et des nations, c’est-à-dire éviter à notre pays des compromissions mortelles et donc renforcer son immunité en rétablissant les liens positifs entre les citoyens et l’État. » [souligné par nou])
En définitive, la trahison des dirigeants des centrales syndicales durant le Hirak porte aujourd’hui totalement ses fruits pour le régime, qui n’a eu de cesse de poursuivre les opposants, d’organiser une répression massive qui se poursuit et s’accentue aujourd’hui dans un contexte ou les masses laborieuses restent encore assommées par la défaite du Hirak. L’abstention massive marque indéniablement le fait que les travailleurs haïssent ce régime, mais cette abstention n’ouvre à cette étape aucune perspective pour le prolétariat. Au désarroi politique, s’ajoute la répression et la détérioration des conditions matérielles élémentaires d’existence.
C’est de ce constat que l’on doit partir pour permettre à la classe ouvrière de renouer avec le combat à une autre étape.
Sans aucun doute le régime va s’empresser de porter des coups décisifs contre les masses, et inévitablement la classe ouvrière et le prolétariat se verront contraints de se défendre contre l’offensive prévisible. Les difficultés majeures auxquelles ils sont confrontés sont la collusion des dirigeants syndicaux avec le régime et l’absence d’une représentation politique ouvrière, d’un parti ouvrier rompant avec le régime et les puissances impérialistes.
La tâche immédiate c’est d’abord :
• combattre pour imposer la rupture des dirigeants syndicaux de l’UGTA et de la CSA avec le régime et le « dialogue social » ; dans ce mouvement,
• imposer aux dirigeants syndicaux qu’ils se prononcent et engagent un combat de front unique contre la répression et pour la défense des liberté démocratiques,
• ainsi que des conditions matérielles d’existence et des revendications ouvrières.
C’est sur cet axe que pourra se dégager une avant-garde orientée sur le combat pour le parti ouvrier.
Les militants regroupés autour de Maghreb socialiste n’ont pas d’autres intérêts que ceux des masses en lutte contre le régime. C’est pourquoi, ils militent : • Pour la chute du régime, la satisfaction de toutes les revendications démocratiques. En particulier l’élection d’une assemblée nationale souveraine • Pour la satisfaction des revendications ouvrières, ce que seule permettra la constitution d’un véritable gouvernement ouvrier, en en finissant avec la domination impérialiste, expropriant les grands groupes capitalistes, organisant la production en fonction du besoin des masses • Immédiatement, pour l’unité des rangs ouvriers, le front unique des organisations syndicales ouvrières ouvrant sur la constitution d’une centrale ouvrière unique indépendante de l’état et de la bourgeoisie, et démocratique • Pour la constitution d’un véritable parti ouvrier
Les travailleurs et jeunes qui partagent ces objectifs ou qui veulent en discuter sont invités à prendre contact : maghrebsocialiste@free.fr
Le 26 septembre 2024