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LE DEVENIR ORGANISATIONS SYNDICALES UGTA et CSA : UNE QUESTION CRUCIALE POUR LA LUTTE DES CLASSES EN ALGÉRIE

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Maghreb Socialiste a décidé de publier un article sur le devenir des syndicats en Algérie. Cette décision fait suite à l’adoption des lois antisyndicales, environ quatre ans après que les travailleurs de l’UGTA s’étaient mobilisés dans le cadre du Hirak pour la réappropriation de la centrale syndicale. Incontestablement, l’adoption de ces lois constitue une lourde défaite pour le prolétariat. Pour autant, cela signifie-t-il que tout est joué et que tout combat dans les syndicats est impossible ? Nous souhaitons dans cet article montrer qu’au contraire l’histoire du mouvement syndical algérien illustre de façon incontestable que le combat des militants révolutionnaires dans les syndicats reste une tâche essentielle et incontournable, quelles que soient les conditions objectives dans lesquelles il se déroule.

L’HISTOIRE DU SYNDICALISME ALGÉRIEN : UNE HISTOIRE PARFOIS GLORIEUSE, SOUVENT TRAGIQUE, MAIS UNE HISTOIRE RICHE D’ENSEIGNEMENTS

Il serait utile de se plonger dans le détail sur l’histoire riche du mouvement syndical algérien car elle contient des enseignements essentiels pour la lutte des classes en Algérie. Cette section de l’article se contentera de relever quelques traits historiques saillants, permettant de comprendre la situation du syndicalisme actuel en Algérie.
Tout d’abord, il serait pour le moins réducteur de limiter le mouvement syndical en Algérie au monopole de l’UGTA depuis l’indépendance. La réalité est bien plus complexe. Dans une étude de Nacer Djabi de janvier 2020, rédigée en collaboration avec Fadila Akkache, Hocine Zobiri et Samir Larabi, l’auteur rappelle :
« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le nombre d’ouvriers algériens émigrant en France pour chercher du travail s’était accru, atteignant les 23.000 émigrés en 1923.N’étant pas soumis au Code de l’indigénat en France, les ouvriers algériens adhéraient de plus en plus à la CGT. Celle-ci accueillait en effet ces travailleurs non qualifiés qui la rejoignaient directement une fois sur le sol français. Arrivés des villages et montagnes déshérités, ils fuyaient une double persécution : la première en tant que travailleurs et la deuxième, de par leur appartenance à un pays maintenu sous le joug colonial. De nombreux leaders syndicaux ont émergé de cette population ouvrière essentiellement constituée de travailleurs de l’industrie et l’action syndicale s’est ainsi renforcée en dépit de l’État colonial qui n’a eu de cesse de saboter son action et de la pénaliser. »
Plus loin, l’auteur indique :
« L’arrivée du Front populaire au pouvoir en France a consacré l’unification de toutes les forces de gauche et permis la réunification de la CGT et de la CGTU. Le Front populaire abrogea le Code de l’indigénat, ce qui permit de lever l’interdiction faite aux Algériens de se syndiquer. Dès lors, ils adhérèrent en force à la CGT et la section CGT d’Alger comptabilisa un nombre record de plus de 250.000 adhérents. Cependant, avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale et les événements tragiques du 8 mai 1945, que la CGT s’était gardée de condamner ouvertement [en conformité avec la ligne de l’appareil stalinien du PCF qui combattait contre l’indépendance du pays, NDLR], une rupture avec les syndicats français se produisit. Une réflexion au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) sur la nécessité de fonder une centrale syndicale algérienne s’ensuivit et le nombre d’adhérents à la section d’Alger chuta alors à 80.000 militants »
Par la suite, la CGT fut à l’initiative de la création d’une organisation syndicale dirigée par des Algériens, l’UGSA en juin 1954. C’est Lakhdar Kaidi qui en prit la direction.
Après le déclenchement de la révolution, l’UGSA finit par adopter les revendications révolutionnaires nationalistes, établissant le lien entre les revendications sociales du prolétariat et le combat pour l’indépendance. Le Gouverneur général d’Algérie, Robert Lacoste, procédera à sa dissolution en 1956.
Durant la même année, la crise qui secoua le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques), aboutissant à la création du FLN, conduisit à la naissance de deux centrales syndicales distinctes pour chaque tendance. Les Messalistes créèrent l’Union Syndicale des Travailleurs Algériens (USTA) le 20 février 1956. Cette centrale syndicale se développera essentiellement dans le secteur de l’immigration, où elle parvint à rassembler beaucoup d’Algériens dans la Fédération des travailleurs émigrés en France qui comptait alors plus de 25 000 adhérents, attirant 80 % des émigrés algériens syndiqués à la CGT. Le FLN, quant à lui, fut à l’initiative, quatre jours plus tard, de la création de l’UGTA le 24 février 1956.
L’offensive menée par le FLN contre les Messalistes s’est traduite par la liquidation physique de la quasi-totalité des dirigeants et militants de l’USTA qui refusaient de se soumettre au FLN et de rejoindre l’UGTA.
Dès lors, avec la victoire du FLN sur les Messalistes, c’est l’UGTA qui organisa l’essentiel du prolétariat algérien durant la lutte pour l’indépendance. Samir Larabi évoque [la] « grande manifestation de solidarité avec le FLN, le 1er mai 1956, au cours de laquelle son leader Aissat Idir fut arrêté, puis assassiné lors de son incarcération. », et « l’appel à une grève générale de huit jours, en janvier 1957, suivie massivement mais sauvagement réprimée par les autorités françaises. »
Durant la période allant de 1957 jusqu’à l’indépendance, l’histoire et l’activité de l’UGTA s’est confondue avec celle du FLN dans le cadre de la lutte pour l’indépendance. Dans la lutte anticoloniale, l’UGTA s’est, en quelque sorte, rangée derrière la direction politique du FLN. Mais en réalité, l’aspiration à l’autotomie par rapport au FLN existait parmi nombre de syndicalistes. Elle s’exprimera dès l’indépendance.

UGTA : UN ENJEU DE LA LUTTE DES CLASSES ENTRE L’EXIGENCE DU RÉGIME D’EN FAIRE UNE ORGANISATION DE TYPE CORPORATISTE ET LA RÉSISTANCE DU PROLÉTARIAT QUI A LE PLUS SOUVENT CHERCHÉ À SE SAISIR DE SON ORGANISATION POUR ENGAGER DES COMBATS DE CLASSE

À l’avènement de l’indépendance avec le départ des colons, l’UGTA jouera un rôle fondamental dans la relance de l’économie ruinée par la politique de terre brûlée de l’impérialisme français. Dans les campagnes en particulier, les paysans investissent les grandes propriétés coloniales en vue d’organiser la production en fonction des besoins de la population et constituent des comités de gestion le plus souvent initiés et animés par des militants de l’UGTA. C’est ce mouvement que l’appareil du FLN et Ben Bella vont s’attacher à cadenasser en privant progressivement les comités de gestion de tout pouvoir réel, en imposant le contrôle étroit de l’appareil du parti unique.
Mais ce mouvement ne se limite pas aux campagnes. La classe ouvrière investit aussi les usines laissées à l’abandon par les colons posant ainsi objectivement la question du contrôle ouvrier de la production et d’une économie socialisée permettant de satisfaire les besoins de la population. Cela conduira le régime à faire des concessions, à travers notamment la constitution d’un secteur public. Pour les travailleurs, cela se traduira par la conquête de nombreux acquis tels que : le SMIG, l’inspection du travail, les commissions paritaires dans la fonction publique, la sécurité sociale, etc.
Dans le même mouvement l’UGTA cherche à s’émanciper, sous la pression des masses en lutte, de la tutelle du FLN et de l’état algérien en constitution. L’historien et militant, Jacques Simon résume ainsi la période :
« Pendant la crise de l’été 1962, le Bureau Politique installé au pouvoir par la force, en violation des Accords d’Évian signés par le GPRA avec la France, vit avec inquiétude l’UGTA s’implanter et se structurer comme une force autonome du BP et du FLN. Sous Ben Bella, les travailleurs organisés dans l’UGTA et dans les comités de grève imposèrent :
-la constitution d’un secteur public (mines, usines, banques, transports, hydrocarbures...) à partir des entreprises européennes abandonnées,privant ainsi, en partie, la bourgeoisie algérienne d’une base matérielle indépendante .
-la non-attribution, en partie, à des gros et moyens propriétaires fonciers algériens des grands domaines des colons ;
-l’application aux Algériens de la législation ouvrière antérieure, réservée surtout à l’aristocratie ouvrière européenne (SMIG, inspection du travail, commissions paritaires, sécurité sociale, etc.).
Pour construire l’Ėtat algérien, la condition indispensable pour que l’ancien tuteur colonial finance le Trésor public et obtienne la garantie des investissements de la France dans son ancienne province était de briser le syndicat qui établissait avec le Bureau Politique, un double pouvoir. C’est pourquoi, en avril 1963, Ben Bella/Khider et le BP du FLN intervinrent en plein congrès de l’UGTA pour empêcher la discussion sur le rapport moral, imposer une nouvelle direction et une nouvelle orientation ; »

Ils le feront manu militari en envahissant le congrès avec des sbires à la solde du FLN.
« Le syndicat, subordonné au FLN se trouvait désormais associé à la gestion de l’économie étatisée. L’ « autogestion », [à la mode du régime, NDLR] dans le secteur industriel et agricole, présentée comme l’application du marxisme en Algérie [...], ont permis à Ben Bella de mener une politique visant à faire participer l’UGTA à l’édification de l’Ėtat bonapartiste algérien. » (Jacques Simon)
À la suite du coup d’état conduisant à la chute de Ben Bella, Boumedienne n’aura de cesse de parachever l’entreprise de caporalisation de l’UGTA pour en faire une organisation corporatiste en associant le syndicat à la gestion des entreprises.
Le successeur de Boumedienne, Chadli ben Jedid, poursuivant l’entreprise de son prédécesseur, procédera à des purges dans le syndicat en s’appuyant sur un véto institutionnel prévu dans l’article 120 des statuts du FLN qui stipulait que « la candidature à tous les postes de responsabilité au niveau de l’état et des organisations de masse [UGTA comprise, NDLR] était subordonnée à l’adhésion au Parti ».
En définitive, depuis l’indépendance, le régime a mené une politique constante en vue de domestiquer l’UGTA pour en faire une simple courroie de transmission du gouvernement au service des intérêts de la junte au pouvoir. Mais cela ne s’est pas fait sans une résistance du prolétariat qui, à maintes reprises, s’est mobilisé en cherchant à se saisir de la centrale pour faire valoir ses revendications.
Dès le début des années 70, d’importantes grèves vont avoir lieu. En 1972, une grève massive va se développer à la RSTA (Régie des transports d’Alger), contre le blocage des salaires et l’aggravation des conditions de travail. En 1974, les grèves se multiplient. Dans la métallurgie, à Kouba, 1200 travailleurs de la SNS se mobilisèrent pour rejeter la nouvelle grille des salaires, mettant en place un comité de grève qui contrôlera le mouvement dirigé contre l’état patron. Ils rejetèrent l’arbitrage proposé par le FLN tout en se réappropriant leur syndicat UGTA.
On peut citer concernant le développement de ces grèves les propos de Nacer Djabi :
« Cela n’empêcha pas l’éclosion de quelques mouvements sociaux au sein des entreprises publiques, en particulier vers la fin des années 1970 et le début des années 1980, portant à 1.334 le nombre de mouvements de grève en 1979 » [...] « Durant la période allant de 1983 à 1986, 3.528 grèves ont eu lieu dans le secteur public, contre 2.298 dans le secteur privé, c’est-à-dire un total de 5.826 grèves tous secteurs confondus »
À partir du milieu des années 1980, la crise économique et la faillite de la politique de « l’industrie industrialisante » promue par Boumedienne, ainsi que la dette extérieure contractée par l’état algérien, vont conduire Chadli à engager un train de réformes visant à la libéralisation de l’économie, la privatisation des entreprises nationales et à la mise en œuvre des ajustements structurels imposés par le FMI, pour rembourser la dette. Les restructurations d’entreprises publiques ont conduit à la suppression de centaines de milliers d’emplois statutaires, tandis que parallèlement prospéraient de nombreuses entreprises privées employant des salariés précaires (plus d’un million de salariés durant cette période).
C’est cette situation qui prévalait au moment du déclenchement de la crise révolutionnaire de 1988. La révolte de la jeunesse traduisait un mouvement plus profond au sein de la classe ouvrière, posant objectivement la question du pouvoir et de la chute du régime.
Face à l’irruption du prolétariat et de la jeunesse sur le terrain de la lutte des classes, le régime a dû faire des concessions en matière de libertés démocratiques, parmi lesquelles le multipartisme, la liberté de la presse et l’exercice du droit syndical, à travers la loi de 1990.

LOI DE 90 : UNE CONCESSION EN MATIÈRE DE LIBERTÉ SYNDICALE MAIS QUI INSTAURE UNE « LIBERTÉ SURVEILLÉE »

La loi de 90 constituait une concession du régime en matière de liberté syndicale mais il faut immédiatement préciser que c’était en quelque sorte une liberté surveillée. En effet, à peine adoptée, elle fit l’objet d’un certain nombre d’amendements visant à en restreindre significativement la portée, multipliant les obstacles à sa mise en œuvre effective. Alors que des moyens devaient être alloués aux syndicats qui se constituaient, seule l’UGTA a pu les obtenir pour exercer son activité.
De plus, la constitution d’un syndicat était soumise à une demande préalable auprès des autorités. La procédure d’instruction des dossiers de demande de constitution de syndicats autonomes était organisée par la loi n° 90-14 du 2 juin 1990 qui prévoyait, dans son article 8, la délivrance d’un récépissé un mois après le dépôt du dossier ; ce récépissé constituait de fait un agrément délivré par le régime.
Dans la pratique, le régime a, à de très nombreuses reprises, refusé de délivrer les récépissés d’enregistrement, empêchant, de fait, la création de nouveaux syndicats.
Malgré tout, l’adoption de la loi de 90 allait rapidement conduire à la constitution d’une multitude de syndicats autonomes principalement implantés dans la fonction publique.

DU DÉVELOPPEMENT DES SYNDICATS AUTONOMES À LA CONSTITUTION DE LA CSA : LE PROLÉTARIAT ENGAGE LE COMBAT POUR S’ÉMANCIPER DE LA TUTELLE DE LA DIRECTION CORROMPUE DE L’UGTA

Une des conséquences notables de la crise révolutionnaire de 1988 fut la création d’une multitude de syndicats autonomes. Ils se sont principalement constitués dans la fonction publique : médecins et autres praticiens de la santé publique, pilotes, officiers de la marine marchande, enseignants du supérieur et du secondaire, cadres et agents de la fonction publique, psychologues, magistrats, personnels communaux...
Bien que confrontée aux obstacles mis en place par le régime, (refus d’agréer les syndicats, « scissions » multiples orchestrées par le régime lui-même ou par certains des dirigeants n’ayant pour seul horizon que la promotion personnelle de leur carrière…), cette aspiration de la classe ouvrière à disposer de syndicats indépendants du pouvoir et au service de la défense de leurs revendications, a conduit au développement de très nombreux syndicats. En 2018, on ne décomptait pas moins de 66 organisations syndicales de travailleurs enregistrées par le Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale.
Ces chiffres n’intègrent évidemment pas la multitude d’organisations syndicales qui ont vu leurs demandes d’agrément refusées par le pouvoir.
Mais le mouvement vers la constitution de syndicats autonomes présente de nombreuses limites.
La première d’entre elles réside dans un morcellement considérable. Par la force des choses, les syndicats se sont constitués essentiellement à partir de corps de métiers, de corporations essentiellement tournées vers le combat pour la satisfaction de leurs revendications catégorielles. Cela a conduit à un véritable morcellement de secteurs entiers de la fonction publique. On ne dénombre aujourd’hui pas moins de 47 organisations syndicales, plus ou moins implantées, dans le seul secteur de l’éducation.
Ce morcellement satisfaisait d’une part le régime, qui s’accommodait des divisions et luttes intestines au sein et entre les différents syndicats, d’autre part les dirigeants syndicaux, essentiellement centrés sur leur aspiration à être totalement associés au dialogue social et à la co-élaboration des contre réformes. Cette aspiration a été constante jusqu’à ce jour, se traduisant par la revendication des dirigeants de nombreux syndicats autonomes à être associés pleinement au dialogue social, notamment à travers leur association aux tripartites auxquelles seule l’UGTA participe à ce jour. En réalité, assez rapidement, les travailleurs des secteurs concernés ont été dépossédés de leurs syndicats, du fait de la collusion des dirigeants syndicaux avec le régime. (Maghreb socialiste a, à maintes reprises, fait état dans ses articles de la façon dont les responsables syndicaux se vautrent de façon ininterrompue dans le dialogue social).
Ce qu’il est important de noter, c’est que les dirigeants des syndicats autonomes de la CSA ont pris un soin tout particulier à empêcher toute centralisation du combat des travailleurs. La structure même de la CSA a été conçue, non pas comme une confédération qui aurait été un facteur d’unification de la classe ouvrière et du prolétariat dans son ensemble, mais comme un agrégat de syndicats.

LA DÉCENNIE NOIRE : LE RÉGIME DÉCIDE D’ÉCRASER LE PROLÉTARIAT

Il serait trop ambitieux dans le cadre de cet article de revenir de façon exhaustive sur les événements tragiques qui ont secoué l’Algérie durant la décennie noire. Ce que l’on peut dire, c’est que la guerre engagée conjointement par le régime et les bandes fascistes que constituaient le FIS et l’AIS, conduit à l’étranglement du prolétariat qui a mis des années à s’en remettre. La mise en place de l’état d’urgence traduisait pour le régime sa volonté d’en finir définitivement avec la crise révolutionnaire ouverte en 1988. Cela d’autant plus que l’état de délabrement de l’économie nationale et les injonctions du FMI pressaient le régime à procéder aux « ajustements structurels » voulus par les puissances impérialistes.
L’État d’urgence a été l’occasion et le moyen pour la junte militaire d’écraser physiquement le prolétariat tout en mettant en œuvre des réformes qui se sont révélées catastrophiques sur le plan des conditions matérielles d’existence des masses laborieuses.
Les réformes vont toucher le régime de change avec, entre autres, les ajustements du cours du dinar algérien entre avril et septembre 1994 qui, cumulés, ont représenté une dépréciation de 50 % du dinar par rapport au dollar, la libéralisation du commerce et des paiements extérieurs, mettant fin au monopole de l’état sur le commerce extérieur, la libération des prix avec le passage de plusieurs produits de la catégorie des produits à prix réglementés à celle des produits à marge bénéficiaire réglementée, la révision trimestrielle des tarifs du gaz et de l’électricité en fonction de l’évolution de l’inflation, la libération des prix de la construction pour les logements sociaux. Tout cela s’est fait dans le courant de l’année 1994. Viennent ensuite l’élimination des subventions généralisées à la consommation : produits du pétrole, produits alimentaires, ainsi que la suppression du contrôle des marges bénéficiaires et la déréglementation des prix du sucre, des céréales autres que le blé, des huiles comestibles et des fournitures scolaires (1995). La période de 95 à 97 se traduira par une augmentation de 30 % des loyers des logements sociaux. À cela, il faut ajouter le blocage du SMIG qui conduira à une baisse de 40 % du pouvoir d’achat…
Concernant les réformes économiques, elles donnent lieu à la liquidation ou à la privatisation de la plus grande partie des entreprises publiques, avec leurs lots de plans sociaux aboutissant à la suppression de centaines de milliers d’emplois.
Il s’est agi d’une marche forcée, à un rythme haletant, sans que les dirigeants de l’UGTA ou les dirigeants des syndicats autonomes naissants n’ouvrent de perspectives en matière d’actions d’envergure, à la mesure de ce qui a été mis en œuvre par tous les gouvernements de Hamrouche à Ouyahia, et des ministres qui se sont succédé à cette époque.
Il faut dire que le principe du libre exercice de l’activité syndicale a été remis en cause de façon drastique à l’occasion de la promulgation du décret présidentiel du 9 février 1992 portant instauration de l’État d’urgence. L’article 6 de ce décret a donné pouvoir au ministre de l’Intérieur (le général à l’époque Larbi Belkheir) d’ordonner aux walis (préfets) de « réquisitionner les travailleurs pour accomplir leurs activités professionnelles habituelles en cas de grève non autorisée ou illégale » : une interdiction de fait du droit de grève.
Dans le même temps, ont été mises en place les tripartites, un outil essentiel pour une nouvelle forme de corporatisme, permettant aux gouvernements d’associer les bureaucrates de l’UGTA aux réformes, aux ajustements structurels et au remboursement de la dette.
Toutes ses réformes ont été mises en œuvre alors que dans le même temps étaient perpétrés les crimes les plus ignobles contre la population dans l’affrontement entre la junte militaire et les islamistes. On estime généralement que la « décennie noire » s’est traduite par le chiffre de 200 000 morts en dix ans.
Parmi les victimes, des centaines de syndicalistes qui étaient tout autant la cible de l’AIS que de la junte au pouvoir. Pour la seule UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd, ancien secrétaire de l’UGTA a évoqué le nombre de 750 syndicalistes assassinés, un chiffre qui est bien en-deçà de la réalité.
Dans les faits, la décennie noire a laissé un peuple exsangue, épuisé par une décennie d’atrocités et étranglé par la remise en cause d’une grande partie des acquis gagnés depuis l’indépendance sur le plan social. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender l’accession au pouvoir de Bouteflika.

L’ÈRE BOUTEFLIKA : LE TRIOMPHE D’UN BONAPARTISTE TEINTÉ D’UNE FAÇADE « DÉMOCRATIQUE »

En retrait des affaires depuis 1981 - il avait été contraint à l’exil de 1981 à 1987 pour extorsion et détournement de fonds publics -, Bouteflika décide de se présenter en tant que candidat « indépendant » à l’élection présidentielle de 1999, avec l’aval de l’essentiel de la junte militaire le considérant le plus à même de rétablir la stabilité du régime. Il sera élu avec 73,8 % des voix lors d’un scrutin boycotté par l’ensemble des candidats qui s’étaient retirés. Il accompagnera par la suite son élection d’un véritable plébiscite en soumettant à referendum un projet de loi pour « la Concorde civile » qui obtient le oui de 90 % de votants, le 16 septembre 1999.
Six ans plus tard, en septembre 2005, dans la continuité de la « concorde civile », la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » est aussi soumise à référendum. Elle est adoptée avec plus de 97 % des suffrages exprimés.
Il importe de dire quelques mots au sujet de cette charte.
Destinée sans conteste à couvrir les responsables des massacres commis contre le peuple algérien, à étouffer la vérité sous la chape de l’union nationale, à "interdire que soit mise en lumière la responsabilité de la hiérarchie militaire, des services de sécurité, de la police, de la gendarmerie, des milices armées par le pouvoir, de la justice et de tous les rouages de l’appareil d’état bourgeois dans les massacres de plus de 200 000 Algériens depuis 1992 et dans la disparition de milliers d’autres" (cf : CPS nouvelle série n°27 de janvier 2007),"cette charte a consacré l’impunité du régime. Elle a été un outil majeur pour que Bouteflika puisse consolider l’état bonapartiste, tout en interdisant que la vérité soit faite sur les milliers de disparus durant la décennie noire". Il faut ici noter que l’UGTA a pris toute sa part pour faire en sorte que la charte soit adoptée, mobilisant toutes ses forces pour soutenir le referendum et appeler à voter pour.
Dès lors, le régime se trouve renforcé et peut, en s’appuyant sur la direction de l’UGTA et le dialogue au sein des tripartites, poursuivre sa politique de réforme tout en s’achetant la paix sociale au moyen de la rente pétrolière.
Mais à partir du second mandat, et plus encore durant le troisième et le quatrième mandats, la classe ouvrière relèvera la tête et le règne de Bouteflika sera émaillé d’un nombre croissant de mobilisations ouvrières se traduisant par des grèves dans de nombreux secteurs pour la défense des revendications en matière de pouvoir d’achat, de création de postes, etc. Ce fut particulièrement le cas dans l’éducation, la santé et la fonction publique où les travailleurs se sont saisis des syndicats autonomes pour faire valoir leurs revendications. Bien que puissants, ces mouvements sociaux et ces grèves ont été encadrés par les dirigeants des syndicats autonomes dont la préoccupation essentielle était de les faire refluer, tout en s’inscrivant dans le dialogue social, à la place que leur conférait le régime.
Cependant, ces grèves et mobilisations n’épargnaient pas le secteur des entreprises nationales où bien souvent les travailleurs se saisissaient de leur section syndicale UGTA, quittes à en chasser les responsables quand ces derniers ne se conformaient pas aux exigences de la base (nous renvoyons aux nombreux articles de Maghreb socialiste sur cette période).
Cette situation va culminer en décembre 2018, dans un contexte où le régime et son représentant étaient en bout de course, incapables de présenter une autre alternative que le 5e mandat avec un Bonaparte impotent. De cela, les masses n’ont pas voulu et c’est ce qui a conduit au Hirak. Dès février 2019, les masses allaient déferler dans un mouvement historique, avec des manifestations plus importantes en nombre que celles qui ont célébré l’indépendance en 1962. Aux cris de « non au 5e mandat », « état civil non militaire ! », « les généraux à la poubelle », les masses ont exprimé une année durant (et malheureusement au bout du compte sans succès, si ce n’est la chute de Bouteflika), leur aspiration à en finir avec le régime et leur disponibilité au combat pour atteindre cet objectif.

LE HIRAK : UNE DÉFAITE CONSOMMÉE, LA RESPONSABILITÉ DES DIRECTIONS DES ORGANISATIONS SYNDICALES EST COMPLÈTE

Tout d’abord, il faut le dire avec lucidité, 4 ans après la mobilisation historique des masses algériennes, la défaite est consommée. L’objet de cet article n’est pas de faire un bilan exhaustif des événements historiques qui ont secoué l’Algérie durant le Hirak.
Incontestablement, la puissance objective du prolétariat à l’époque permettait tous les espoirs, et c’est d’ailleurs cette puissance des mobilisations qui a abouti à la chute de Bouteflika, conduisant à une crise de régime dont l’onde de choc fut spectaculaire. On a pu assister à un processus de maturation tout au long de ces mobilisations qui partaient au départ du rejet du 5e mandat, pour poser très rapidement la question du pouvoir à travers les slogans, « Qu’ils partent tous, état civil non militaire, vous avez pillé le pays bandes de voleurs ».
Sur le terrain de la lutte des classes, le prolétariat cherchait indéniablement les moyens d’ouvrir la voie à une solution ouvrière à la crise. En effet, dès le début du Hirak, et surtout à partir de début mars, la grève des enseignants, la marche des travailleurs du complexe industriel ENIEM de Tizi Ouzou montraient que le mouvement vers la grève générale était engagé : grève des transports à Alger, Bejaïa, grève dans de nombreux secteurs à Bouira, on assistait à une mobilisation intense de la classe ouvrière avec le développement massif de grèves spontanées, d’assemblées générales dans des secteurs-clefs de la classe ouvrière .
De leur côté les dirigeants des organisations syndicales, quand ils ne prenaient pas fait et cause pour le régime comme la direction de l’UGTA, se disposaient déjà à offrir leurs services pour lui suggérer une porte de sortie dans le cadre d’une « transition démocratique ».
Dans les syndicats autonomes, le CNES (enseignement supérieur) avait commencé par réclamer - avant même Bouteflika ! - la convocation d'une "conférence nationale" rassemblant représentants de toutes les classes sociales et de tous les partis. Mais la puissance des mobilisations à l'université, le fait que les enseignants se retrouvaient au coude à coude avec leurs étudiants dans les manifestations a contraint ce syndicat à revoir sa position. Mais le plus significatif est sans doute l'appel à la grève des syndicats de l’Éducation pour le mercredi 13 mars : d'abord parce qu'il reprenait explicitement la revendication contre le 5e mandat, mais aussi parce qu'il annonçait la rupture avec le gouvernement : « L’intersyndicale a aussi souligné qu’elle boycottait toutes les activités organisées par le ministère de l’Éducation nationale. Elle a également appelé tous les enseignants et employés du secteur à participer massivement aux marches pacifiques organisées les vendredis. »
En réalité à partir du mois de mars, les conditions étaient réunies pour l’appel à la grève générale jusqu’à la chute du régime. Cette tendance allait s’accentuer début avril, au point que la hiérarchie militaire a fini par lâcher la présidence, pour éviter le pire.
Mais durant cette période, les dirigeants syndicaux s’attelaient déjà à la tâche pour tenter de trouver une porte de sortie pour le régime.
Concernant les syndicats autonomes, le SATEF et le SNATEP se prononçaient pour un «  compromis historique vers une transition démocratique [...] nécessité inéluctable, vitale et urgente ».
Cette politique de trahison des dirigeants des appareils syndicaux allait rapidement se heurter à la résistance des masses qui culminera avec le combat historique engagé par les travailleurs pour se réapproprier leur centrale syndicale UGTA. Pourtant, en l’absence d’une avant-garde révolutionnaire, c’est une fraction de l’appareil de la centrale qui prendra la tête du mouvement et qui bandera toutes ses forces pour le faire avorter.
Les militants de Maghreb Socialiste, à partir du mois de mars et ce jusqu’au mois de juin, étaient axés sur la ligne du combat pour imposer aux dirigeants qu’ils appellent à la grève générale dans l’unité et qu’ils l’organisent en centralisant les comités de grèves en un comité central de grève. Dans le même temps, nous avancions le mot d’ordre de l’assemblée nationale souveraine comme levier pour la mobilisation. Le premier mai, des milliers de travailleurs se rendaient au siège de l’UGTA à l’occasion de la fête du travail, pour exiger le départ du secrétaire de l’UGTA Sidi Said. Ils se heurtaient à la répression policière, mais aussi au fait que les bureaucrates syndicaux avaient savamment orchestré la division pour empêcher la jonction, notamment entre les travailleurs affiliés à la CSA et ceux qui combattaient au sein de l’UGTA pour la réappropriation de leur centrale syndicale. Ainsi, alors que les travailleurs aspiraient incontestablement à l’unité, donc à une manifestation unique appelée conjointement par les syndicats, il y eut trois cortèges distincts : un du SNAPAP, un des syndicalistes de l’UGTA, un de la CSA ! Sidi Said se voyait ainsi protégé autant par la police que par les bonzes à la tête des appareils syndicaux. En réalité, les bureaucrates à la tête du mouvement pour la réappropriation de l’UGTA joueront un rôle essentiel pour faire refluer ce mouvement en permettant que se tienne le congrès convoqué par la direction de la centrale.
Le 5 mai, Maghreb socialiste publiait une déclaration titrée :
Le temps presse !
Pour balayer le régime :
ASSEMBLÉE NATIONALE SOUVERAINE
Pour satisfaire les revendications du prolétariat et de la jeunesse :
GOUVERNEMENT DES ORGANISATIONS OUVRIÈRES : L’UGTA – débarrassée de la clique de Sidi Saïd - ET LA CSA
Dans ce but :
FRONT UNIQUE CSA-UGTA POUR APPELER À LA GRÈVE GÉNÉRALE, CONSTITUER LES COMITÉS DE GRÈVE ET UN COMITÉ CENTRAL DE GRÈVE !

Il s’agissait d’ouvrir une perspective politique pour la classe ouvrière, de formuler en des termes précis le combat pour la prise du pouvoir.
Durant la période allant de mars à juin 2019, il faut aussi rappeler que vont se multiplier les initiatives visant à nouer un dialogue avec le pouvoir (Forum de la société civile pour le changement, Dynamiques de la société civile, Pacte pour l’alternative démocratique, etc.).
Mais l’initiative politique qui a joué un rôle déterminant, c’est en réalité la Conférence de la société civile. Nous écrivions le 25 juillet dans Maghreb socialiste :
« Il s’agit donc pour Lyes Merabet (alors responsable de la CSA, ndlr) de transformer la CSA en « médiateur politique », en interlocuteur du régime, il s’agit de liquider la CSA en tant qu’organisation syndicale indépendante du pouvoir et de la bourgeoisie. Il s’est d’ailleurs dit honoré d’avoir été cité dans la liste des personnes retenues par le Forum de la société civile pour le changement ! Alors même que la classe ouvrière a construit la CSA en opposition à la direction de l’UGTA qui était la courroie de transmission du pouvoir, alors même qu’un mouvement historique a vu le jour au sein de l’UGTA pour la réappropriation du syndicat, afin de le mettre au service des revendications des travailleurs, Merabet tourne le dos à l’aspiration de milliers d’ouvriers et de salariés à disposer d’organisations de classe indépendantes du régime et de la bourgeoisie ; en poursuivant dans cette voie, Merabet s’apprête à donner un coup de poignard à la CSA mais aussi à la mobilisation pour en finir avec Gaïd Salah, son régime et la hiérarchie militaire ! »
C’est essentiellement sur les appareils syndicaux que s’est appuyé le régime pour la mise en œuvre de sa feuille de route, un appui qui s’est concrétisé par la programmation de l’élection présidentielle de décembre 2019. A ce moment précis, toutes les conditions étaient réunies pour que s’organise le boycott effectif de l’élection. Toutes les conditions sauf une : que les dirigeants syndicaux appellent et organisent le boycott. C’est sur cette orientation que les militants de Maghreb socialiste ont combattu avec leurs faibles moyens, en centrant leurs déclarations et interventions sur l’exigence que les dirigeants de la CSA et de l’UGTA rompent avec le régime et organisent le boycott effectif de l’élection. Durant cette période, les masses étaient en ébullition, l’aspiration au boycott s’exprimait sans la moindre ambiguïté dans les manifestations, mais à mesure que l’échéance approchait, les appareils syndicaux, flanqués des appareillons politiques se réclamant des travailleurs, ont bandé toutes leurs forces pour boucher cette perspective. À partir de ce moment, l’élection a eu lieu et on connaît la suite.
Malgré un taux d’abstention historique, la tenue du scrutin remettait en selle le régime qui, par la suite, s’est consolidé d’échéances en échéances, dans une indifférence teintée de désarroi pour la classe ouvrière. Ce qui constituait un drame en 2019, a tourné à la tragédie. De scrutin en scrutin, le pouvoir s’est renforcé malgré l’abstention, tout en organisant une répression féroce contre les militants du Hirak, les journalistes, les syndicalistes les militants ouvriers. Au final, le régime est parvenu à se stabiliser et engage aujourd’hui au pas de charge l’offensive contre les masses, en s’appuyant sur le dialogue social avec les dirigeants syndicaux qui ont eux-mêmes retrouvé leur place de lieutenants loyaux de la bourgeoisie.
Au lendemain de la présidentielle de 2019 nous écrivions :
« Le mouvement qui s’est déclenché le 22 février se caractérise par la puissance de la spontanéité, mais il exprime tout autant les limites de celle-ci. Cette puissance a permis la chute du clan Bouteflika (sous la menace de la grève générale en avril), l’interdiction à deux reprises de la tenue de l’élection présidentielle. Dans ce mouvement, spontanément, la classe ouvrière a tenté de se saisir de ses organisations syndicales, en particulier de l’UGTA à travers notamment le mouvement pour la réappropriation de la centrale (...) Mais quelle que soit la puissance du mouvement spontané, il s’est heurté au bout du compte à l’obstacle que constitue l’absence d’organisation traçant la voie du combat en définissant l’orientation adéquate. »
Il faut aller plus loin :
La réalité c’est qu’à aucun moment, malgré de nombreuses tentatives, la classe ouvrière n’est parvenue à faire sauter le verrou des directions des appareils syndicaux. Aussi puissante qu’ait pu être la mobilisation spontanée des travailleurs, elle ne pouvait, en l’absence d’un parti ouvrier ou même d’une avant-garde suffisamment conséquente pour intervenir dans les processus qui mûrissaient dans la classe ouvrière, imposer une solution ouvrière à la situation qui s’était ouverte. C’est-à-dire qu’à aucun moment n’a pu être formulée, en termes de gouvernement, la question du pouvoir, de façon significative pour qu’elle soit reprise et que l’affrontement direct avec le régime puisse avoir lieu. Bien sûr les mots d’ordre de « dehors Bouteflika », « pas de 5e mandat », « pas d’élections avec la bande » ou « état civil non militaire » traduisaient la volonté d’en découdre avec le régime, se situaient sur le terrain de la réalisation des tâches démocratiques, mais chasser le régime pour le remplacer par quoi ? Rares ont été les militants qui ont su de façon conséquente et constante avancer la perspective du combat pour un gouvernement ouvrier (nous étions de ceux-là), c’est-à-dire d’un gouvernement de l’UGTA et de la CSA. À aucun moment, la tendance à la centralisation de la mobilisation vers la grève générale n’a pu se concrétiser parce qu’il n’existait pas de regroupement d’avant-garde suffisamment puissant pour intervenir sur cet axe avec une influence de nature à agir sur la situation. Des tentatives de centralisation, il y en a eu notamment chez les étudiants, mais là aussi, aucune organisation syndicale ou de jeunesse pour les mener à terme. La volonté d’en découdre avec les apparatchiks des syndicats, qui s’est exprimée à travers la tentative de réappropriation de l’UGTA, a été tuée dans l’œuf pour la simple et bonne raison qu’elle a été cadenassée par une fraction de l’appareil, souvent vertébrée par des bureaucrates dont l’objectif était simplement de devenir calife à la place du calife. Il y a bien eu sur le terrain de la lutte des classes des tentatives significatives pour submerger les appareils. Pour mémoire il faut rappeler la montée à Alger des travailleurs de Numilog, en septembre octobre 2019, pour que leur combat soit pris en charge au plan national. Leurs revendications se concentraient sur la réintégration des travailleurs et des militants syndicaux licenciés par le patron de CEVITAL et la reconnaissance du syndicat UGTA de l’entreprise. La montée a eu lieu, mais en dernière analyse, l’appareil a réussi à contenir au plan local un combat qui avait une portée nationale.
En définitive, ce sont bien essentiellement les dirigeants des organisations syndicales UGTA et CSA qui ont permis au régime de se rétablir et d’engager la plus violente offensive contre la classe ouvrière depuis l’indépendance, avec l’objectif de livrer totalement le pays aux puissances impérialistes les plus offrantes.
Et le régime s’est empressé d’engager la contre-offensive en engageant d’une part un train de réformes économiques visant à remettre en cause les quelques garanties des travailleurs et à livrer le pays aux appétits des trusts et des puissances impérialistes, à travers un arsenal de lois visant à « rétablir le climat des affaires » (loi sur les investissements, sur le foncier, loi visant à la privatisation des banques, etc..) et d’autre part en accentuant la répression.
Aujourd’hui, parmi les objectifs du régime, il y a la liquidation du statut général de la fonction publique, la privatisation de ce qui reste de la santé, la liquidation de la sécurité sociale, la suppression totale des subventions aux produits de première nécessité, la privatisation de l’université avec pour corollaire, l’impossibilité pour les bacheliers d’accéder à celle-ci… On pourrait rallonger à l’envie la liste des dispositions prévues dans le cadre de l’offensive du régime.
Pour atteindre ses objectifs, il a établi parmi ses priorités la liquidation de toutes les libertés démocratiques.

UNE OFFENSIVE TOUS AZIMUTS CONTRE ACQUIS DE LA CLASSE OUVRIÈRE ET DU PROLÉTARIAT ET CONTRE LES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES

Il lui a d’abord fallu remettre au pas la classe ouvrière et la jeunesse. Le régime l’a fait à travers le développement massif de la répression contre les militants ouvriers, les syndicalistes et les militants du Hirak. Parmi les mesures prises, l’emprisonnement et la condamnation de centaines d’activistes, l’interdiction de certains partis, le musellement de la presse à travers l’adoption d’une loi qui interdit à tout journaliste d’émettre la moindre critique envers le régime, sous peine d’être poursuivi. Une loi qui met en place un véritable « comité de censure », et dont les effets se sont immédiatement fait sentir à travers l’interdiction d’un certain nombre de médias, le harcèlement de nombreux journalistes et éditorialistes au point que la presse algérienne n’est plus à présent que l’ombre d’elle-même.

Adoption des lois syndicales et les conséquences

Mais pour la classe ouvrière la défaite que constitue l’adoption des lois antisyndicales est un événement majeur, qui aura indéniablement des conséquences sur les conditions dans lesquelles se dérouleront les mobilisations futures. Le 21 novembre 2022, Maghreb socialiste détaillait les points essentiels de ce projet :
- Interdiction pour les militants syndicalistes de s’affilier à des partis politiques avec pour conséquence l’impossibilité de toute intervention politique dénonçant l’inféodation des directions syndicales au régime, leur participation aux organes de concertation que le régime met en place pour faire passer ses contre-réformes : pas de politique dans les syndicats, sauf celle du gouvernement !
- Établissement d’une liste détaillée des secteurs dans lesquels la grève serait interdite, parmi lesquels les secteurs de la santé et de l’éducation ;
- Durcissement des conditions de constitution des syndicats, notamment à travers un agrément conditionné par la « représentativité des syndicats et des confédérations ou fédérations » ;
- Mise en place de conditions pour l’exercice du droit de grève telles qu’au bout du compte toute grève peut être déclarée illégale par les autorités, à la demande de l’employeur.
Bref, deux projets visant d’une part à interdire la constitution de syndicats indépendants du pouvoir et de la bourgeoisie, et l’interdiction pur et simple du droit de grève.

Les directions des centrales UGTA et CSA refusent de mener le combat

Nous écrivions dans Maghreb socialiste le 2 avril
« Les travailleurs étaient disponibles pour engager l’affrontement. En témoignent les nombreuses prises de positions des instances syndicales intermédiaires où les syndicalistes et les travailleurs exprimaient leur rejet de ces lois et tendaient à exiger des responsables nationaux qu’il engagent le combat dans l’unité pour leur retrait. La base était prête au combat. En témoigne les 6000 syndicalistes de l’UGTA qui se sont rassemblés à Alger au cri de retrait. La base était prête mais elle a été pour ainsi dire émasculée par les dirigeants syndicaux. Ces derniers ont tout fait pour empêcher la centralisation du combat, en refusant notamment d’appeler à l’organisation d’une manifestation centrale à l’APN pour interdire aux députés de voter la loi.
En lieu et place, ils ont multiplié les déclarations demandant formellement le retrait sur la ligne : « nous n’avons pas été associés à la rédaction des textes », ou en expliquant avec un cynisme abject que les lois n’étaient pas conformes à l’esprit de la constitution, aux textes internationaux ou aux instructions du président, dans le cadre de l’Algérie nouvelle qu’il voulait promouvoir !!!
Ils s’en sont remis au conseil constitutionnel, une institution au service exclusif du pouvoir, ou au Bureau international du travail, qui est au mieux une instance internationale de collaboration de classes entre la bourgeoisie à l’échelle internationale et les appareils internationaux des syndicats, au pire un instrument au service de la bourgeoisie pour légitimer l’ensemble des coups portés au prolétariat. Et pour couronner le tout, ils ont adressé des suppliques à Tebboune lui-même, alors que ce dernier est l’initiateur des dites lois. Ils se sont adressés au bourreau pour qu’il n’exécute pas la sentence !!!
Tout cela s’est accompagné d’un appel à une journée de grève, sans lendemain émanant de 31 syndicats de la CSA, qui s’est transformée en journée d’action où le mot grève lui-même avait disparu des derniers communiqués. Un pitoyable baroud d’honneur, qui pourtant a vu une mobilisation non négligeable dans certains secteurs, ce qui témoignait de la disponibilité au combat de la classe ouvrière.
Finalement, ils ont appelé à un meeting le 8 mars, à la veille de l’adoption des projets par l’APN, un meeting qui ne s’est pas tenu !!!
La direction de l’UGTA quant à elle n’a pas bougé une oreille malgré les appels pressants de sa base ».
Il n’y a rien à retirer du bilan que nous avions fait. Il était possible d’engager le combat, et d’ailleurs Labatcha, l’ex-secretaire de l’UGTA et ancien député du PT, n’était pas parvenu à contenir la fronde au sein de la centrale. C’est la raison pour laquelle il a été purement et simplement déposé par Tebboune lui-même, et remplacé par le responsable de la fédération des hydrocarbures qui a assuré l’intérim jusqu’au XIVe congrès de l’UGTA, un congrès de normalisation comme nous allons le voir.

Retour sur le XIVe congrès de l’UGTA : un congrès de normalisation

Le XIVe congrès s’est conclu par l’élection de Amar Takdjout. Ses faits d’armes sont les suivants : durant la période des années 1990 à 2000, il était responsable de la fédération des textiles, dont il a accompagné méthodiquement le démantèlement en liquidant les entreprises publiques qui étaient d’une certaine façon des fleurons, et qui aujourd’hui ont été reprises par des opérateurs privés, turques notamment. Takdjout a été par ailleurs un dirigeant et député du PT, ce qui montre s’il en est besoin la fonction qu’occupe le PT et ses liens avec l’appareil d’état.
Le Jeune indépendant du 24 juillet 2023 rapporte les propos de Amar Takdjout, le nouveau SG de l’UGTA :
« Un congrès est synonyme aussi de changement à travers lequel une nouvelle direction est élue afin d’apporter une refonte organisationnelle de cette organisation. »
À la question : « Quel rôle jouera l’UGTA à l’avenir ? », il répond : « L’UGTA doit d’abord se remettre sur les rails et reprendre les référentiels de l’organisation syndicale existants, notamment la référence de 1956 et celle adoptée à partir des années 1990 à ce jour ». (souligné par nous)
Reprendre les référentiels, particulièrement ceux adoptés dans les années 90, cela signifie s’inscrire dans la continuité de la politique de dialogue social et de participation à laquelle s’est livré Benhamouda quand il a signé le pacte social qui visait à proscrire la grève pour lui substituer le dialogue et la concertation. C’est en particulier à cette époque qu’a été adopté le fameux article 87 bis qui a bloqué la valeur du SMIC pendant plus de 15 ans, entraînant une baisse de 40 % du pouvoir d’achat : une saignée considérable pour les masses. Le dialogue social, au moment où Hamrouche, premier ministre, et ses successeurs ont mis en place des réformes aboutissant à la suppression de centaines de milliers de postes dans la fonction publique et les entreprises nationalisées. C’est à cette époque qu’ont été mises en place les premières tripartites, institutionnalisant le dialogue et ouvrant la voie au rétablissement pur et simple du syndicat vertical conforme aux intérêts du régime, de la bourgeoisie et de l’impérialisme. C’est dans les années 90 qu’on a vu naître l’organisation patronale FCE (Forum des chefs d’entreprises). Quand il a pris la tête de la centrale, Benhamouda a participé à de nombreux colloques et formations dispensés par la CISL (Confédération internationale des syndicats libres, institution vouée tout entière à la promotion du dialogue social et de la collaboration de classes).
Poursuivons :
« L’Expression du 30 juillet 2023 publie un article avec pour titre :
« Amar Takdjout, nouveau secrétaire général de l'Ugta, “Motivé par la réforme interne”» On y apprend que « L'adoption des nouveaux statuts de l'Ugta a été reportée à une date ultérieure. Contacté, hier, le nouveau patron de la Centrale syndicale, Amar Takdjout, a déclaré que le congrès a reporté l'adoption de ses nouveaux statuts pour “établir les structures, leurs prérogatives et leurs champs d'action...etc. ”. Il a néanmoins, indiqué que “son organisation ne se mettra pas en porte-à-faux avec la nouvelle législation relative à l'exercice du droit syndical et du droit de grève”. (souligné par nous) “L'ajournement de l'adoption des statuts est décidé suite à des propositions et des recommandations faites par le congrès portant sur la réforme de l'organisation et le fonctionnement des structures internes de l'Ugta”, a-t-il précisé. »
(…) “La réorganisation des structures de l'Ugta et la formation syndicale dont souffre la Centrale syndicale d'une manière criarde, sont les plus grands chantiers qui attendent la nouvelle”, a fait savoir M Takdjout. Les participants au 14e congrès extraordinaire de l'Ugta ont appelé, dans le communiqué final “les cadres et les travailleurs à la participation efficace et à l'engagement fort pour la préservation de la production nationale et la contribution à la construction d'une économie forte”. (souligné par nous)
Une citation qui vaut son pesant d’or :
D’une part, Takdjout annonce clairement la couleur concernant les lois syndicales. Il s’agit bel et bien de ne pas se mettre en porte-à-faux avec la nouvelle législation, donc d’adapter la centrale aux exigences du régime. D’autre part, la réforme des structures signifie de fait la mise au pas du syndicat, une réforme des structures dont l’objectif est de liquider les fédérations. Traditionnellement, la résistance des travailleurs et le déclenchement des grandes grèves passent plus régulièrement par les fédérations auxquelles se sont raccrochées quelques Unions de wilayas. « La réforme des structures de l'Union », envisagée par Takdjout, a pour objectif de faire le ménage pour liquider l’autonomie des fédérations et des unions de wilaya. Il n’est plus question de voir ressurgir des mouvements tels que le mouvement pour la réappropriation de l’UGTA. Il s’agit, pour Takdjout, d’arrimer l’UGTA au « front interne » en défense du régime, de Tebboune et de sa feuille de route, dont les « réformes » visent en particulier à atomiser la classe ouvrière, ses acquis issus de la lutte pour l’indépendance, son existence en tant que classe pour soi. Il s’agit de la dessaisir de ses organisations syndicales pour livrer les travailleurs aux appétits féroces de la bourgeoisie et du capital.
Mais qu’en est-t-il de ceux qui prétendaient mener le combat pour la réappropriation de l’UGTA au printemps 2019 ?
Le journal L’Expression du 23 juillet 2023 nous éclaire à ce sujet. Il cite Noureddine Bouderba, ancien syndicaliste qui avait été « propulsé » parmi les dirigeants du mouvement pour la réappropriation :
«“ Les organisations syndicales ne sont, désormais, plus autorisées à se positionner même par rapport à la politique de l'emploi qui les concerne directement, ou encore par rapport aux mesures gouvernementales impactant positivement ou négativement le pouvoir d'achat des travailleurs...”, a souligné, hier, Noureddine Bouderba, ancien syndicaliste et spécialiste du droit du travail. Il a indiqué que “ce genre de questions fondamentales ne devraient pas être ignorées par le congrès de l'Ugta”. “Si l'Algérie est en train de relancer son économie, par contre l'on ignore si ce progrès sera partagé avec les travailleurs car les nouvelles orientations relatives à la politique syndicale du gouvernement ne disent pas comment et au profit de qui, seront répartis les bénéfices engrangés...”, s'est-il demandé. Force est de constater que “la nouvelle équipe qui prendra les rênes de l'Ugta ne dispose pas de feuille de route relative à ces enjeux fondamentaux”, a-t-il soutenu. »
En gros, Bouderba prend acte de l’adoption des lois, en versant des larmes de crocodile, et dans le même temps, il prône la répartition des bénéfices engrangés dans le cadre de la relance de l’économie (comme si Teboune mettait en œuvre une politique de relance de l’économie au profit des masses !!!). Les bureaucrates oppositionnels se montrent tels qu’ils sont : des chantres du prétendu partage des richesses, des promoteurs de la cogestion et de la participation. Autant dire que malgré leurs gesticulations verbales, les « ex-représentants du mouvement pour la réappropriation syndicale » s’inscrivent totalement à leur manière dans l’Algérie nouvelle de Tebboune, celle de la cogestion, de l’association capital-travail, de la restauration d’un état corporatiste.
Faut-il en conclure qu’aucun combat n’est possible au sein des organisations syndicales ? Les contorsions d’un Bouderba, qui se voit obligé à sa façon de dénoncer à demi-mots les lois syndicales, montrent que dans l’UGTA, il existe une résistance à la liquidation du syndicat, qui ne demande qu’à s’exprimer.

COMME L’HISTOIRE DE L’UGTA L’A SOUVENT MONTRÉ, LA TENTATIVE DE NORMALISATION DES SYNDICATS RENCONTRERA INÉVITABLEMENT LA RÉSISTANCE DU PROLÉTARIAT QUI COMBATTRA EN VUE DE SE RÉAPPROPRIER SES ORGANISATIONS SYNDICALES

Dans la brochure « Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste », Léon Trotsky écrit : « (...) Il semblerait facile à première vue de conclure que les syndicats renoncent à être eux-mêmes à l'époque impérialiste, qu'ils ne laissent presque plus de place à la démocratie ouvrière qui, dans les bons vieux temps, quand le libre-échange dominait sur l'arène économique, constituait le contenu même de la vie intérieure des organisations ouvrières. On pourrait également estimer qu'en l'absence de démocratie ouvrière, il ne peut y avoir de lutte ouverte pour exercer une influence sur les membres des syndicats et que, de ce fait, l'arène principale du travail révolutionnaire au sein des syndicats disparaît. Une telle position serait fondamentalement fausse. Nous ne pouvons pas choisir le champ et les conditions de notre activité selon nos seuls désirs ou aversions. Il est infiniment plus difficile de lutter pour influencer la masse ouvrière dans un Etat totalitaire et semi-totalitaire que dans une démocratie. Cette remarque s'applique également aux syndicats dont la destinée reflète l'évolution des États capitalistes. […] Nous ne pouvons pas renoncer à un travail systématique au sein des syndicats d'un régime totalitaire ou semi-totalitaire simplement parce qu'ils dépendent directement ou indirectement de l’État ouvrier ou parce que la bureaucratie prive les révolutionnaires de la possibilité de travailler librement dans ces syndicats. Il est nécessaire de conduire la lutte sous toutes ces conditions concrètes qui ont été créées par le développement précédent, y compris les fautes de la classe ouvrière et les crimes de ses chefs. »
De l’histoire tumultueuse de l’UGTA, on peut tirer un certain nombre de leçons pour le combat de la classe ouvrière en Algérie. La première d’entre elles est que quel que soit le degré d’intégration de ses dirigeants au régime, à de nombreuses occasions, la classe ouvrière a cherché à se saisir de sa centrale pour tenter de lui imposer la prise en charge de ses revendications. Cela vaut tout autant au plan local qu’au plan des fédérations. Le point culminant de ses tentatives a été le mouvement pour la réappropriation de l’UGTA, en lien avec la mobilisation du prolétariat au moment du Hirak, qui, par son ampleur et son contenu, a indéniablement une portée internationale pour le prolétariat. Même si ce mouvement a été tué dans l’œuf par une partie de l’appareil, il n’en demeure pas moins qu’il reste gravé dans les consciences, et la tentative de se saisir de l’UGTA pour combattre les lois antisyndicales au moment de l’adoption de celles-ci en témoigne de façon criante. La manifestation qui a eu lieu lors de la commémoration du 22e anniversaire de la mort de Benhamouda, qui a vu 6000 syndicalistes scander le mot d’ordre de retrait des lois antisyndicales, a d’ailleurs valu l’éviction du secrétariat de l’UGTA Labatcha par le régime, tout simplement parce qu’il s’est révélé incapable de contenir la grogne.
Mais il faut bien le reconnaître, ces tentatives de combat pour se rapproprier les syndicats se heurtent à la résistance acharnée des dirigeants syndicaux, qui n’ont d’autre objectif que de préserver leurs prébendes. Elles sont confrontées aussi à la difficulté à organiser le combat centralisé pour en finir avec la collaboration des apparatchiks à la mise en œuvre de la politique de la junte. Or aujourd’hui, plus que jamais, c’est en s’organisant sur l’axe du combat pour la rupture des dirigeants syndicaux avec le régime qu’on peut ouvrir une réelle perspective de combat pour l’affronter et le vaincre.

ACCOMPAGNER ET NOURRIR INLASSABLEMENT LE COMBAT POUR LA RUPTURE DES DIRIGEANTS SYNDICAUX AVEC LE RÉGIME

On l’a vu lors de l’immense mobilisation du Hirak : la force du nombre n’a pas permis d’en finir avec le régime, et c’est bien la collusion des dirigeants syndicaux qui a conduit à son rétablissement. Le combat pour la rupture des dirigeants syndicaux n’a jamais réellement pu être mené de façon centralisée du fait de l’absence d’une avant-garde ordonnée sur cet axe. Maghreb Socialiste n’a eu de cesse de mener de façon constante ce combat, en exprimant cette exigence dans de très nombreuses déclarations pendant la mobilisation. Aujourd’hui, dans la période de reflux du prolétariat en Algérie, cette orientation reste plus que jamais d’actualité. Il s’agit d’affirmer à chaque instant que la satisfaction des revendications ouvrières est incompatible avec le maintien et l’approfondissement du dialogue social.
Ainsi par exemple, face à l’offensive contre les statuts des fonctionnaires, il faut imposer aux dirigeants des syndicats autonomes et de l’UGTA la rupture de tout dialogue avec le régime ! Face à la destruction du système de santé, rupture immédiate des dirigeants syndicaux autonomes de la santé avec le gouvernement ! Et cela vaut bien sûr pour l’Éducation nationale.
Il faut réaffirmer à chaque instant que la satisfaction des revendications en matière de pouvoir d’achat est incompatible avec le dialogue social.
Il faut combattre pour que la direction de l’UGTA quitte les tripartites, instruments de cogestion et de co-élaboration des contre réformes !
Même si à cette étape c’est prématuré, le combat pour la réappropriation des syndicats (UGTA et CSA) posera inévitablement à terme la question de la nécessité d’une centrale unique des travailleurs algériens, indépendante du pouvoir et de la bourgeoisie, à partir des syndicats existants, expurgés de leurs dirigeants corrompus.
C’est ce combat qui peut ouvrir la voie au regroupement d’une avant-garde révolutionnaire, intervenant de façon active pour aider le prolétariat à se doter de sa propre représentation politique, indépendante du pouvoir, de la bourgeoisie, un véritable parti ouvrier, outil indispensable pour renverser à terme le régime et lui substituer un gouvernement des organisations ouvrières rompant avec la bourgeoisie et l’impérialisme et satisfaisant les revendications ouvrières.

IMPORTANCE DU COMBAT DANS LA JEUNESSE

Karl Liebknecht nous a enseigné que « la jeunesse est la flamme de la révolution ».
Le combat dans la jeunesse revêt une importance cruciale. Cette question centrale ne peut être développée de façon exhaustive dans le cadre de cet article, c’est la raison pour laquelle Maghreb socialiste consacrera ultérieurement un article spécifique au combat dans la jeunesse, d’autant que face à l’offensive menée par Tebboune pour liquider le droit aux études, plus que jamais la jeunesse aura besoin de combattre de manière centralisée. Nous nous contenterons simplement de quelques rappels historiques.
En Algérie, la jeunesse occupe une place prépondérante ne serait-ce que sur le plan démographique. Il est incontestable qu’elle a joué un rôle fondamental durant les quatre dernières décennies. Le vaste mouvement (qualifié de « printemps berbère »), qui a vu le soulèvement des masses en Kabylie en avril 1980, s’est développé à l’initiative des étudiants et des lycéens qui en furent le fer de lance.
La crise révolutionnaire de 1988 s’est ouverte à partir de manifestations spontanées de la jeunesse réprimées dans le sang par le régime.
Plus récemment lors du Hirak, ce sont les jeunes et les étudiants en particulier qui animaient le plus souvent les cortèges en scandant les slogans au gré de l’évolution des évènements. Mais dans cette dernière période, il faut signaler que malgré les tentatives et initiatives engagées par certains d’entre eux, il n’a pas pu y avoir une centralisation significative, conduisant les étudiants à s’auto-organiser à travers des comités de délégués élus dans les amphis. Cela révèle encore une chose, c’est que l’absence d’un cadre d’organisation a pesé et pèsera tant que les étudiants ne disposeront pas en premier lieu d’une organisation syndicale indépendante du pouvoir, démocratique et ordonnée sur le combat pour la satisfaction des revendications.
C’est la tâche que devront s’assigner les éléments les plus conscients, en œuvrant dans le même temps à la construction d’une organisation révolutionnaire de la jeunesse.

QUELQUES CONCLUSIONS

- Les tentatives d’intégration des syndicats (UGTA et accessoirement CSA) à l’appareil d’état se sont la plupart du temps heurtées à la résistance du prolétariat en Algérie.
- Quel que soit le degré d’intégration de leurs dirigeants, ces organisations conservent la qualité de syndicats, cadres dans lequel la classe ouvrière cherche à combattre en l’absence d’une représentation politique (le parti ouvrier).
- Cette situation conduit de façon récurrente à des crises au sein des syndicats qui voient s’affronter la classe ouvrière aux directions traîtres des centrales syndicales, en particulier dans les périodes d’intense lutte des classes. La classe ouvrière a subi une défaite à l’issue du Hirak. Tôt ou tard, elle s’en relèvera
- Inévitablement, dans le cadre de développements futurs de la lutte des classes, les travailleurs se saisiront de leurs organisations pour exiger qu’elles se mettent à leur service.
Ce sont ces processus que nous devons nourrir en combattant inlassablement pour la rupture des dirigeants syndicaux avec le régime, la bourgeoisie et l’impérialisme. Cela ouvrirait indéniablement la voie au combat pour renverser la junte militaire et lui substituer un gouvernement des organisations syndicales UGTA et CSA. Pour autant cela ne peut constituer dans le meilleur des cas qu’une transition vers la prise du pouvoir par le prolétariat.
Pour cela, la classe ouvrière doit se doter d’un parti ouvrier. C’est en combattant aujourd’hui sur une orientation combinant le combat pour la rupture des dirigeants avec le régime et la propagande pour la construction du parti ouvrier que l’on pourra regrouper une avant-garde sur la ligne de la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire.

Le 27 octobre 2023

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