A quelques mois de l’élection présidentielle, il convient d’apporter un éclairage sur la situation en Algérie, et ce d’autant plus que cette élection n’est pas, pour la junte militaro-policière, une simple étape dans l’objectif de renforcer le régime, mais bien la volonté de clôturer la période d’incertitude et de chaos générée par le Hirak. Par cette opération à caractère plébiscitaire qui vise au rétablissement plein et entier du régime et au renforcement de son caractère répressif et anti-démocratique, il s’agit de consacrer de façon officielle la victoire de l’état bourgeois sur les masses. Et si la clique au pouvoir peut se le permettre, c’est que la défaite est désormais consommée, avec toutes ses conséquences en matière de coups portés à la classe ouvrière et au prolétariat dans son ensemble.
Rappelons ce que nous écrivions le 27 octobre 2023 dans un article de Maghreb socialiste :
« Incontestablement, la puissance objective du prolétariat à l’époque [celle du Hirak] permettait tous les espoirs, et c’est d’ailleurs cette puissance des mobilisations qui a abouti à la chute de Bouteflika, conduisant à une crise de régime dont l’onde de choc fut spectaculaire. On a pu assister à un processus de maturation tout au long de ces mobilisations qui partaient du rejet du 5e mandat, pour poser très rapidement la question du pouvoir à travers les slogans “ Qu’ils partent tous, état civil non militaire, vous avez pillé le pays bandes de voleurs”.
Sur le terrain de la lutte des classes, le prolétariat cherchait indéniablement les moyens d’ouvrir la voie à une solution ouvrière à la crise. En effet, dès le début du Hirak, et surtout à partir de début mars, la grève des enseignants, la marche des travailleurs du complexe industriel ENIEM de Tizi Ouzou montraient que le mouvement vers la grève générale était engagé : grève des transports à Alger, Bejaïa, grève dans de nombreux secteurs à Bouira, on assistait à une mobilisation intense de la classe ouvrière avec le développement massif de grèves spontanées, d’assemblées générales dans des secteurs-clefs de la classe ouvrière.
De leur côté les dirigeants des organisations syndicales, quand ils ne prenaient pas fait et cause pour le régime comme la direction de l’UGTA, se disposaient déjà à offrir leurs services pour lui suggérer une porte de sortie dans le cadre d’une “transition démocratique” ».
Il est nécessaire de se souvenir, à ce stade, qu’au plus fort de leur mobilisation, les travailleurs, avaient engagé le combat pour se réapproprier leur organisation syndicale UGTA, dont la direction de Sidi-Saïd était totalement compromise et discréditée. Ce combat s’était heurté au dispositif mis en place par une fraction de l’appareil de l’UGTA qui avait permis de différer le congrès de la centrale et conduit à la défaite sur ce terrain.
L’article cité plus haut poursuivait :
« C’est essentiellement sur les appareils syndicaux que s’est appuyé le régime pour la mise en œuvre de sa feuille de route, un appui qui s’est concrétisé par la programmation de l’élection présidentielle de décembre 2019. A ce moment précis, toutes les conditions étaient réunies pour que s’organise le boycott effectif de l’élection. Toutes les conditions sauf une : que les dirigeants syndicaux appellent et organisent le boycott. C’est sur cette orientation que les militants de Maghreb socialiste ont combattu avec leurs faibles moyens, en centrant leurs déclarations et interventions sur l’exigence que les dirigeants de la CSA et de l’UGTA rompent avec le régime et organisent le boycott effectif de l’élection. Durant cette période, les masses étaient en ébullition, l’aspiration au boycott s’exprimait sans la moindre ambiguïté dans les manifestations, mais à mesure que l’échéance approchait, les appareils syndicaux, flanqués des appareillons politiques se réclamant des travailleurs, ont bandé toutes leurs forces pour boucher cette perspective. À partir de ce moment, l’élection a eu lieu et on connaît la suite. Malgré un taux d’abstention historique, la tenue du scrutin remettait en selle le régime qui, par la suite, s’est consolidé d’échéance en échéance, dans une indifférence teintée de désarroi pour la classe ouvrière. Ce qui constituait un drame en 2019, a tourné à la tragédie. De scrutin en scrutin, le pouvoir s’est renforcé malgré l’abstention, tout en organisant une répression féroce contre les militants du Hirak, les journalistes, les syndicalistes les militants ouvriers. Au final, le régime est parvenu à se stabiliser et engage aujourd’hui au pas de charge l’offensive contre les masses, en s’appuyant sur le dialogue social avec les dirigeants syndicaux qui ont eux-mêmes retrouvé leur place de lieutenants loyaux de la bourgeoisie. »
La défaite subie par le prolétariat avec l’élection de Tebboune a fait l’effet d’un rouleau compresseur sur les masses, conduisant au démantèlement méthodique de toute entrave au pillage économique à travers les privatisations, la livraison de ce qui relevait du domaine public aux appétits des puissances impérialistes !
Pour le régime et la junte militaire, tout semble « rentrer dans l’ordre » après le Hirak, et les conséquences s’en sont fait sentir immédiatement, avec la remise en cause des maigres acquis issus de 1988, parmi lesquels :
- liberté de la presse, ce qui s’accompagne de l’emprisonnement de journalistes et de militants, de censures, d’atteintes à la liberté de réunion et d’association (Centre de documentation et d’information en droits de l’homme de la LADDH, Maison des droits de l’homme et du citoyen de Tizi Ouzou, etc.),
- lois contre le droit de grève et de s’organiser en syndicats indépendants, avec l’obligation de passer par une multitude d’instances de « médiation » contrôlées de bout en bout par les représentants de l’État ; ces lois interdisent aux travailleurs de s’organiser en toute indépendance par rapport au patronat en imposant la présence des patrons ou de leurs représentants dans les assemblées générales,
- interdiction ou suspension des activités de partis politiques, comme pour le PST ou le MDS, etc.
En matière de droits syndicaux, c’est avec la complicité active des dirigeants de l’UGTA et de la CSA que les textes ont pu être adoptés. De même que tout ce qui concerne la liquidation de la fonction publique d’état se fait avec l’accord des bureaucrates, comme c’est le cas dans l’éducation ou la santé, et ce, dans un silence assourdissant de la presse nationale désormais muselée.
La nouvelle Algérie de Tebboune, c’est le retour à l’époque Boumédiène, avec à la clef la levée de tout obstacle au « bon climat des affaires ». Le régime est rétabli, et chacun reprend sa place, désormais au nom du « renforcement du front intérieur », expression dont Louisa Hanoune détient le brevet.
Et maintenant, il y a urgence pour le régime d’avancer dans les réformes structurelles dictées par les puissances impérialistes par l’intermédiaire du FMI et de la Banque mondiale. C’est ce à quoi s’est attelé le régime dès qu’il en a eu l’opportunité, profitant du désarroi du prolétariat successif à la défaite subie.
La liste est longue des réformes économiques, et il faut le dire, le régime n’a pas chômé en matière de libéralisation et de soumission à l’impérialisme. Il convient de s’arrêter sur les quelques données dont on dispose sur le plan économique.
Dans un article intitulé « Économie algérienne, ce que dit le FMI », Algérie Éco du 30 mars 2024 rapporte :
« Le FMI a rappelé que “l’économie algérienne émergeait encore de la pandémie de Covid lorsque les retombées de la guerre russe en Ukraine et les sécheresses récurrentes ont fait grimper l’inflation, tandis que les prix internationaux élevés des hydrocarbures ont stimulé les recettes publiques et les exportations.”
« On estime que l’économie algérienne a connu une croissance de 4,2 % en 2023 [souligné par nous], une performance robuste due à un rebond de la production d’hydrocarbures et à de solides performances dans les secteurs de l’industrie, de la construction et des services ».
Le secteur hydrocrabures a enregistré une croissance de 4,5% et le secteur hors-hydrocarbures a enregistré une croissance 4,1%, selon les chiffres du Fonds. Le PIB a atteint 33 225 milliards de dinars (247 milliards de dollars). “La position extérieure est restée solide, avec un excédent du compte courant pour la deuxième année consécutive (+8,4 % en 2022 et +2,2% en 2023), note la même source.”
Et de souligner : “Toutefois, les pressions inflationnistes ont persisté (principalement en raison des prix élevés des produits alimentaires) et la politique monétaire est restée accommodante.” L’inflation était de 9,3% en 2022 et 2023. Le FMI estime que ”le déficit budgétaire s’est creusé, quoique moins que prévu dans le budget révisé de 2023 en raison de taux d’exécution relativement lents.” Le déficit budgétaire était de 3% du PIB.
Une dette publique de 49,5% du PIB, des réserves de change de 68,9 milliards de dollars, soit 14,1 mois d’importations, un prix moyen du baril de 84 dollars, un taux de change de 142 dinars pour 1 dollars US, et un PIB par habitant de 4982 dollars, selon les chiffres contenus dans le communiqué du FMI. (…)
Pour les perspectives à court terme, le FMI estime qu’elles “sont globalement positives, mais l’inflation reste préoccupante.” “La croissance réelle devrait rester forte en 2024, à 3,8 %, soutenue en partie par d’importantes dépenses budgétaires ”, selon les prévisions du Fonds. Elle serait de 3,1% en 2025. (…)
Les risques négatifs incluent une inflation tenace, la volatilité des prix internationaux des hydrocarbures, les risques budgétaires liés aux passifs conditionnels, d’importants besoins financiers budgétaires et une dette publique croissante (...)
« Du côté positif, des réformes structurelles soutenues, audacieuses et profondes et des efforts résolus pour diversifier l’économie, améliorer le climat des affaires, attirer les investissements et exploiter de nouveaux marchés d’exportation pourraient stimuler davantage la croissance et la création d’emplois », explique le FMI. »
Dans leur rapport, les administrateurs du Conseil d’administration du FMI se félicitent de « la croissance solide et durable de l’Algérie et sa position extérieure, malgré de multiples difficultés économiques. » Mais dans le même temps, ils insistent lourdement sur les risques inflationnistes qui risquent de plomber l’économie. Ils invitent donc le régime à procéder à une combinaison de politiques « judicieuses », accompagnée d’une mise en œuvre soutenue de réformes.
Une sorte de satisfecit, assorti d’injonctions pour aller plus loin dans les réformes visant à soumettre l’Algérie au pillage. Au-delà du discours et des analyses du FMI, on pourrait considérer que le pays bénéficie d’une embellie sur le plan économique avec des statistiques qui feraient pâlir certaines citadelles impérialistes, toutes proportions gardées ; pourtant la réalité est tout autre.
La situation économique de l’Algérie reste totalement tributaire des cours des hydrocarbures à l’échelle internationale. De ce point de vue, la situation économique mondiale fait peser de lourdes hypothèques, avec une croissance atone en Chine et des tendances à la surproduction qui constituent une menace réelle pour l’économie mondiale. L’Europe traverse une période de stagnation, quand la récession ne menace comme en Allemagne ce qui, par contre-coup, représente un danger pour les pays exportateurs d’hydrocarbures. Ceux de l’OPEP+ ont dû se réunir récemment pour réduire la production de pétrole afin de maintenir les cours à un niveau « raisonnable ». Or la croissance de l’Algérie est directement tributaire, on le sait, de l’évolution des exportations d’hydrocarbures…
Par ailleurs, le FMI met l’accent sur l’inflation, qu’il considère comme un risque majeur. Selon les statistiques officielles produites par l’ONS (Office national des statistiques), le rythme d’inflation annuel entre novembre 2022 et novembre 2023 a atteint un taux de 9,4% ; l’évolution globale des prix des biens alimentaires enregistrent une augmentation de 12,3%. Ceux des produits agricoles frais ont explosé. Ils affichent une hausse de 19,5% avec un taux de 56,5% pour la viande de poulet et 27,6% pour la viande et abats de mouton.
Le deuxième point concerne la valeur du dinar : alors qu’elle est officiellement établie à 143 dinars pour un euro, le même euro s’échange à 238 dinars sur le marché parallèle. La réalité, c’est une dévaluation durable de la monnaie qui est à l’œuvre, et d’ailleurs, dans les préconisations-injonctions du FMI, il est mis l’accent sur la nécessité d’un resserrement monétaire (pour limiter les tendances inflationnistes) et d’une plus grande flexibilité des taux de change, ce qui confirme le caractère artificiel du maintien du taux de change officiel à des niveaux aussi bas comparé à ce à quoi conduirait la mise en adéquation du taux de change avec l’économie réelle.
Une offensive tous azimuts est menée par le pouvoir dans le sens de la privatisation et pour lever toute entrave au développement du « bon climat des affaires » :
- réforme du foncier, visant à la privatisation de la terre et du foncier industriel livrés aux appétits des trusts et de la bourgeoisie locale,
- réforme bancaire, qui se traduit par la privatisation en cours du CPA (Crédit populaire d’Algérie). À ce sujet, El Watan du 1er avril révèle :
« Il s’agit de la première banque publique à rejoindre la Bourse. Kadri [directeur général du CPA], lors de son intervention jeudi, a par ailleurs affirmé que “la Bourse d’Alger, c’est le problème de tout le monde. Si on veut aujourd’hui que cette Bourse soit à la hauteur des Bourses étrangères, il faudrait que tout le monde mette un peu son grain de sel et ne pas rester dans la critique.”(...)
Le ministre des Finances, Laaziz Faid, a qualifié les résultats obtenus grâce à cette opération de “très satisfaisants et encourageants pour le marché”. Le montant mobilisé a dépassé 112 milliards de dinars, soit, selon le ministre, “222% de l’objectif fixé pour la première phase et 81% de l’objectif global de l’opération, qui consiste à céder 30% du capital du CPA”.
Prévue initialement en trois phases, cette opération, qui devait s’étaler jusqu’à la fin de l’année, a finalement été clôturée en une seule étape avec la vente de près de 49 millions d’actions, représentant au total 112,57 milliards de dinars, soit 24,48% du capital de la banque.
A titre de rappel, ce nombre d’actions, correspondant à 81,60% du total de 60 millions d’actions mises en vente par la banque publique, a été acquis par les souscripteurs au niveau de l’ensemble des 58 wilayas du territoire national à travers 49 005 ordres d’achat du 30 janvier au 14 mars derniers.
Le segment des salariés du CPA a bénéficié de 169 570 actions attribuées pour un montant de 356 millions de dinars. Le segment des personnes physiques a affiché un résultat de 33,38 millions d’actions pour un montant levé de 76,78 milliards de dinars (68,21%).
Alors que le segment institutionnel a octroyé 3,8 millions d’actions (8,74 milliards de dinars) et pour les personnes morales, ce segment a levé 26,68 milliards de dinars répartis sur 11,6 millions d’actions. »
Cela donne une idée de la façon dont s’opéreraient les privatisations des banques et institutions de crédits dans les années à venir. Quelles sont les « personnes physiques », quelles sont les « personnes morales » et les « institutionnels », il n’en n’est pas fait état, et cela se comprend : il s’agit de la bourgeoisie et des oligarques qui en tirent les bénéfices, ainsi que les trusts, dans le cadre de la « mise aux normes » et aux standards internationaux de l’économie capitaliste.
Dans le cadre des réformes structurelles, il est indispensable de mettre l’accent sur la levée des entraves à la privatisation et au pillage des ressources nationales. La règle des 49/51 a été liquidée, quand bien même elle constituait un très faible garde-fou : après l’adoption des lois sur les hydrocarbures, l’évolution du cadre de l’exploitation des ressources minières. Tout cela se traduit par la signature de contrats juteux, en particulier avec les États-Unis, la Chine, l’Italie dans le domaine de l’exploitation des gisements de pétrole, de gaz et de gaz de schiste, mais aussi dans le domaine minier. La liquidation de la règle des 49/51 a ouvert la voie au pillage sans limite. Il n’est pas un jour sans que l’on apprenne qu’un contrat historique a été signé avec les majors en matière de prospection et d’extraction des gisements. Par exemple, L’Expression du 8 avril 2024 rend compte de la signature d’un protocole d'accord qui « s'inscrit dans la perspective de la réalisation d'un programme de travaux visant à apprécier et développer les ressources d'hydrocarbures de la région Nord-Est de Timimoun.
Ce protocole d'accord a pour objet également "de définir le cadre de coopération entre les parties, dans l'objectif de conclure un contrat d'hydrocarbures sur la zone d'intérêt identifiée, sous l'égide de la loi n° 19-13 régissant les activités hydrocarbures", a fait savoir la compagnie nationale des hydrocarbures. Sonatrach et Total Energie exploitent, dans le cadre de contrats d'association, les périmètres contractuels de TFT II, TFT Sud, Timimoun et Berkine, a-t-on rappelé dans le communiqué. »
Disons au passage que, même si l’impérialisme français se bat bec et ongle pour défendre son pré carré et rester dans la course face à la concurrence des autres impérialismes (la France est dorénavant le deuxième partenaire commercial de l’Algérie, après la Chine), la réalité force à constater que, comme dans l’ensemble des anciennes possessions coloniales, il est aux abois. Ainsi, El Watan du 11 avril précise :
« L’année 2024 verra-t-elle l’entrée sur le marché algérien du leader pétrolier américain ExxonMobil ? C’est en tout cas ce que suggère la rencontre qui a eu lieu le 9 janvier 2024 entre le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, et une délégation de la compagnie américaine conduite par son vice-président, John Ardill, chargé de la recherche et de la prospection.
Plusieurs rounds de discussions ont déjà réuni les dirigeants des compagnies des deux pays, dont les prémices ont eu lieu lors du rachat par Sonatrach de la raffinerie Augusta, en Italie, et qui appartenait au géant américain. Depuis cette date, les deux parties ont multiplié les discussions dans l’objectif d’attirer un investissement conséquent de la major américaine en Algérie.
Dans le communiqué sanctionnant la rencontre de mardi, le ministère de l’Energie souligne que l’audience a concerné “ l’examen des opportunités de partenariat et d’investissement et les consultations en cours entre Sonatrach et ExxonMobil, en matière de développement des hydrocarbures, notamment en amont”. (…)
Le responsable d’Exxon Mobil a, pour sa part, exprimé le “grand intérêt de la compagnie américaine pour la définition d’importants projets palpables en Algérie, notamment dans le contexte de l’existence d’un climat d’investissement adéquat et de la confiance qui empreint ses relations avec Sonatrach”.
En matière de distribution de l’électricité Le Soir d’Algérie du 17 avril rapporte :
« Le groupe Sonelgaz a signé, ce mercredi à Alger, un accord avec le groupe américain General Electric, visant à étendre les capacités actuelles de leur projet conjoint General Electric Algeria Turbines (Geat), notamment à travers la production d'équipements de postes électriques haute et très haute tensions. »
Enfin, toujours selon El Watan du 8 avril 2024 :
« La CSCEC (China State Construction Engineering) s’engage à devenir un acteur majeur dans le domaine de l’immobilier professionnel en Algérie, visant à jouer un rôle central dans l’organisation d’une chaîne de valeur intégrée dans ce secteur. Tel est le principal message de Luo Jianping, directeur général de l’entreprise, lors de l’iftar organisé samedi dernier à la salle univers du Sheraton Club des pins en l’honneur des partenaires et des médias.
Il a déclaré dans ce contexte : “Le CSCEC est présent dans votre beau pays depuis plus de 40 ans. Nous avons tissé des liens d’amitié profonds avec le peuple algérien qui a été témoin de notre croissance. Nous avons établi des relations de confiance avec divers secteurs, développant ainsi les relations amicales entre les deux pays, la Chine et l’Algérie. C’est grâce à la confiance et au soutien de tous nos partenaires et collaborateurs que nous avons pu obtenir le succès d’aujourd’hui. Ensemble, nous avons construit la troisième plus grande mosquée du monde Djamaâ El-Djazaïr, des logements et le plus grand aéroport d’Afrique (aéroport d’Alger).” A travers cet événement, CSCEC Algérie réaffirme son engagement sur le marché algérien et à suivre la stratégie du gouvernement, contribuant au développement socioéconomique de l’Algérie.
CSCEC Algérie a aussi construit des bâtiments publics emblématiques (siège du ministère des Affaires étrangères, siège du Conseil constitutionnel, Centre international des conférences, siège de Mobilis et d’Air Algérie) et 90% des hôtels (Sheraton club des pins et de Annaba, Hayatt regency, Ibis et le Mercure Aéroport). Actuellement, il réalise le projet prestigieux, mitoyen du Sheraton Club des pins Alger, l’hôtel Sofitel Thalassa et Sofitel Diététique Alger Sea & Spa. Un projet financé par la Société d’investissement hôtelier (SIH) à capitaux publics (…). »
Aujourd’hui, c’est principalement la Chine et les États-Unis qui profitent le plus de la situation. La France, ex-puissance coloniale, se voit reléguée à la deuxième place, talonnée par l’Italie. Mais globalement, le régime s’ouvre à tous les vents, prêt à « contracter » avec l’ensemble des puissances impérialistes.
Cette domination des impérialismes se traduit de plus en plus sur le plan politique et militaire. L’impérialisme français avait envisagé de faire de l’Algérie le gendarme de l’Afrique sub-saharienne et de ses anciennes colonies, et c’est sous l’égide d’Alger qu’avaient été signés les accords sur le Sahel avec le Niger et le Mali. Mais avec l’expulsion de l’ex-puissance coloniale d’une grande partie de son pré carré, ce schéma est aujourd’hui largement remis en cause, et les accords d’Alger sont aujourd’hui caducs, traduisant un peu plus le recul de l’impérialisme français.
L’Algérie se range aujourd’hui ouvertement derrière l’impérialisme américain, et on peut le vérifier à propos de la Palestine. Déjà, le sommet arabe des 1er et 2 novembre 2022, qui s’était tenu à Alger, s’était conclu par une déclaration commune reconnaissant explicitement : l’état d’Israël et la « solution à deux états », À travers cette déclaration, c’est le sort du peuple palestinien qui devait être scellé. C’est dans ces circonstances, alors que le génocide auquel on assiste était engagé sur Gaza, que l’état algérien recevait le navire USS Trenton qui faisait escale dans le port d’Oran. Le journal en ligne Interlignes du 7 novembre 2023 (en pleine destruction de Gaza) rapportait :
« L’équipage civil et naval de l’USNS Trenton a eu l’honneur de visiter le port d’Oran du 7 au 9 novembre en “escale amicale”, en signe de la poursuite du partenariat et de la bonne volonté des Etats-Unis d’Amérique et de l’Algérie (…) » D’après l’ambassade américaine à Alger, “c’est la première fois qu’un navire de la marine américaine visite le port d’Oran depuis plusieurs décennies”, précisant, néanmoins, que “ce même navire avait précédemment accosté au port d’Alger du 4 au 6 juillet de cette année pour célébrer les fêtes de l’indépendance algérienne et américaine” (…).
Le commandant du navire, Damon Bateson, a estimé, pour sa part, ajoute la même source, que “cette visite renforcera les relations entre les États-Unis et ses partenaires algériens, d’autant plus que les deux travaillent ensemble pour assurer la sécurité et la stabilité en Méditerranée” ».
On peut ajouter à cela l’information suivante donnée par El Watan, qui titre le 20 avril 2024 :
« Le général d’armée Saïd Chanegriha a reçu jeudi l’amiral Rob Bauer : “La coopération militaire avec l’OTAN a connu un essor qualitatif” ». On peut y lire :
« Le général d’armée Saïd Chanegriha, chef d’état-major de l’ANP, a reçu, jeudi, le président du Comité militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), l’amiral Rob Bauer, en visite en Algérie à la tête d’une importante délégation.
Dans son allocution à l’ouverture de la réunion de travail entre les deux parties, le général d’armée a mis en avant la qualité de la coopération entre l’Algérie et l’OTAN. Un partenariat qu’il a qualifié de “solide et fructueux” (…)
Pour le général d’armée Saïd Chanegriha, “une lecture attentive du bilan des activités réalisées durant ces dernières années montre que la coopération militaire entre l’Algérie et l’OTAN a connu un essor qualitatif, en termes de dialogue, de concertation et d’action”. (...)
De son côté, l’amiral Rob Bauer a salué “le rôle pivot” que joue l’Algérie dans la préservation de la sécurité et de la stabilité dans la région. “L’Algérie est un partenaire toujours plus actif, ce dont nous nous réjouissons grandement. Notre coopération porte notamment sur la lutte contre le terrorisme, le dialogue et la consultation militaires, la réforme de la défense, la gestion de crise et les défis sécuritaires émergents”, a-t-il indiqué.
L’amiral Rob Bauer a affirmé avoir eu “un débat franc et satisfaisant” avec le général d’armée Chanegriha et Boumediene Benattou, conseiller sécurité et défense auprès du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, sur “le partenariat et la coopération militaire OTAN-Algérie, ainsi que sur l’imbrication des menaces sécuritaires mondiales et régionales. Votre éclairage est essentiel à l’heure où le monde dans lequel nous vivons, marqué par un nombre record d’actes de violence et de conflits, n’a jamais été aussi dangereux depuis des décennies”, a affirmé l’amiral Bauer lors de cette réunion de travail, tout en rappelant la place qu’occupe aujourd’hui l’Algérie sur l’échiquier mondial, notamment en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. »
Voilà des déclarations sans ambiguïté alors que l’on connaît la place que tient l’OTAN dans la guerre inter-impérialiste qui se mène depuis plus de deux ans en Ukraine…
Nous l’avons évoqué plus haut, le Conseil de la nation a adopté le 29 mars 2023 les textes de loi contre l’exercice du droit de grève et du droit syndical qui ramènent le prolétariat à la situation qu’il connaissait avant les années 1990. Et cela n’est qu’un premier aspect de l’offensive du pouvoir.
Cette contre-réforme meurtrière pour les fonctionnaires était engagée de longue date dans le cadre de multiples concertations avec les syndicats autonomes notamment implantés dans l’enseignement et la santé. Déjà en mai 2009, L’Expression indiquait :
« Le premier dossier abordé par Ouyahia, concerne les statuts particuliers des travailleurs de la Fonction publique qui patinent et empêchent des centaines de milliers de travailleurs de bénéficier de l´augmentation des salaires. “Cela ne peut plus durer. On n´attendra pas les retardataires”, lance sur un ton tranchant le Premier ministre. Les retardataires sont les quelque 23 secteurs qui n´ont pas encore ficelé leur statut particulier et que Ouyahia accuse de vouloir marchander avec l´Etat : “Non, il n´y aura pas de chantage sur la République”, précise-t-il en s´adressant aux syndicats des secteurs concernés. Une position confirmée à L´Expression par le ministre du Travail, M. Tayeb Louh. »
On constate aujourd’hui que le régime parvient enfin à avancer dans la liquidation du statut de la Fonction publique, à travers précisément l’élaboration de statuts particuliers dans l’ensemble des secteurs de la Fonction publique. Cette liquidation se fait avec l’accompagnement des organisations syndicales ininterrompu dans le cadre du « dialogue social », qui s’est heurté néanmoins à la résistance des corporations concernées ; d’où un retard considérable, en passe d’être comblé sans réaction massive des personnels. D’ores et déjà, les ministères concernés annoncent que les statuts particuliers dans les domaines de la santé et de l’éducation sont en voie de finalisation.
Le statut particulier des personnels de l’éducation voulu par le pouvoir est en passe d’être mis en œuvre. Les syndicats autonomes de l’éducation se sont rendus aux concertations depuis des années, sans interruption, pour aboutir à cette situation. Mais il convient de préciser la chose suivante.
Au mois de décembre 2023, sur ordre de Tebboune, le gouvernement décidait de différer la mise en œuvre des statuts particuliers des personnels de l’éducation et de la santé, et de renvoyer les avant-projets en vue de leur « enrichissement ». Qu’en dit le secrétaire général du SATEF, l’un des principaux syndicats autonomes de l’éducation ? Cette citation du Jeune indépendant du 25 décembre 2023 se passe de commentaire (les passages soulignés le sont par nous).
« (…) le secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF), Boualem Amoura, a estimé que le renvoi de la révision du statut particulier de l’éducation au mois de février prouve que la commission chargée de l’élaboration de l’avant-projet a échoué dans son travail. “Nous avons eu raison de boycotter la commission car il s’avère que le sort de cette commission est voué à l’échec. Le renvoi du texte par le Président le confirme”, a-t-il déclaré.
Amoura, qui s’est dit satisfait de la révision du régime indemnitaire des travailleurs de l’éducation, demande à ce que les syndicats soient associés aux discussions et à l’enrichissement du statut particulier. “ Le SATEF a toujours revendiqué la révision du régime indemnitaire. Et la révision du statut particulier servira davantage pour la promotion et la révision du régime indemnitaire, comme il permettra également d’améliorer le pouvoir d’achat” ».(Le Jeune Indépendant, 25/12/ 2023)
Ainsi, le syndicaliste nous présente ce report voulu par Tebboune comme une victoire liée au « boycott » de la commission, alors qu’il « omet » d’indiquer que Tebboune avait décidé du renvoi du texte afin de passer à la vitesse supérieure en s’en prenant au statut général de la Fonction publique dans son ensemble. Dans la foulée, il demande que les syndicats soient associés à l’élaboration d’un texte qui n’est ni discutable ni amendable, la seule revendication devant être l’exigence de son retrait pur et simple.
Au passage, on peut s’interroger sur ce « boycott » : ils claquent la porte pour revendiquer avec plus d’ardeur d’être associés au « dialogue social »…
Tout en participant à l’ensemble des concertations, les dirigeants syndicaux ponctuent le dialogue social par un arsenal de journées d’actions qui ont pour seul objectif l’accompagnement de l’offensive menée par le régime.
En témoigne un article d’El Watan du 16 avril 2024 titré « Statut particulier des enseignants : quatre syndicats préparent une protestation » :
« Quatre syndicats du secteur de l’éducation menacent de mener une grève les 28 et 29 avril, ont-ils annoncé dans un communiqué transmis hier à notre rédaction.
Il s’agit du Conseil national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapest), du Conseil des enseignants des lycées d’Algérie (CELA), du Syndicat national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Snapest) et de l’Organisation algérienne des enseignants.
Les quatre syndicats, tous dans le cycle secondaire, affirment que le recours à la grève est la première action d'“un long mouvement de protestation décidé lors des assemblées générales et les conseils de wilaya”. Ils motivent leur action de protestation par le flou qui entoure encore l’élaboration du statut particulier des enseignants de l’éducation nationale.
Un flou qui aggrave, disent-ils, leurs “appréhensions”. Ils protestent en effet, note le communiqué, contre “le refus persistant du ministère de l’Éducation nationale de soumettre une copie de ce texte, en discussion au niveau des Conseils des ministres, et ce, en dépit de la promesse faite par le ministre en octobre 2021”.
Les syndicats dénoncent aussi le fait que les promesses et les engagements pour la tenue des biparties (ministère-syndicats) pour discuter et enrichir le texte en question, et ce, selon les orientations du président de la République, n’ont pas été respectés. Les quatre organisations syndicales, qui s’en remettent, encore une fois, au président de la République, relèvent le fait qu’elles ne soient pas “associées” à la révision, l’approfondissement et l’enrichissement de cet avant-projet. (…)
Le Cnapest, le CELA, Snapest et l’Organisation des enseignants de l’éducation exigent l’application “des orientations du président de la République, Abdelmmadjid Tebboune, relatives à la valorisation du statut des enseignants” en affirmant que “l’enseignant est avant tout un éducateur avant d’être un fonctionnaire”.
Les quatre syndicats disent être “prêts” et “ouverts à tout dialogue” pour l’intérêt de l’école, conclut le communiqué. »
Tout est dit dans ce texte : en résumé, les directions syndicales sont pour la destruction du statut de la Fonction publique et demandent d’être associées à ce projet défendu par le pouvoir !
Concernant la mise en place du nouveau statut des personnels de santé, le mieux est d’aller aux sources… c’est-à-dire ce qu’en disaient les dirigeants syndicaux :
« Les différents syndicats des secteurs concernés ont profité de l’occasion pour appeler à être associés et concertés à ce sujet, et ce afin de pouvoir apporter leur contribution. Contacté par le Jeune Indépendant, le secrétaire général national du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), le Dr Nawfel Chibane, a affirmé que son organisation syndicale valorise ce qui a été pris comme décisions par le président de la République, soulignant l’intérêt que le Président porte au corps des praticiens de la santé publique en particulier et au personnel de la santé en général. (…)
Le Dr Chibane a estimé que ce n’est pas la première fois que le président de la République accorde un intérêt particulier au corps de la santé, et qu’il l’a démontré cette fois-ci encore en évoquant le projet de statut particulier et le régime indemnitaire relatif à cette catégorie de travailleurs.
Par ailleurs, le Dr Chibane a considéré que le report, jusqu’au mois de février, de la mise en œuvre du statut particulier et du régime indemnitaire, et la demande de leur enrichissement remet en cause le travail qui a été fait par la commission ad hoc au niveau de la Fonction publique et du ministère des Finances.
“D’après notre lecture de la décision du Président, le travail de la commission n’est pas suffisant et n’est pas à la hauteur des praticiens de la santé en général”, a-t-il indiqué. “Nous avons réclamé une deuxième lecture du projet du statut particulier avant qu’il soit envoyé à la Fonction publique. Malheureusement, nous n’avons pas eu de retour de la commission ad hoc, et nous ne savons pas ce qui est porté actuellement dans le document finalisé officiellement au mois d’octobre 2022”, a-t-il ajouté. (...)
De ce fait, le SG du SNPSP a exigé que les syndicats du secteur soient associés et intégrés dans une autre commission ad hoc pour avoir, a-t-il dit, une idée sur ce qui a déjà été fait et pouvoir ensuite y introduire d’autres propositions et revoir certains articles. Il regrette, dans ce cadre, que le dialogue entre le syndicat et le ministère de la Santé soit biaisé (...)
Selon lui, le fait que les syndicats du secteur soient associés est une occasion pour rattraper le retard enregistré dans le rythme de dialogue avec la tutelle. “Nous n’avons pu nous réunir avec le ministre que onze mois après la toute dernière réunion de janvier, ce qui montre qu’il n’y a pas de régularité dans le rythme des rencontres avec les responsables”, a-t-il regretté, soulignant que “le président de la République a donné des instructions pour ouvrir le dialogue avec le partenaire social mais sur le terrain, tout est contradictoire et nous ne savons pas à quel niveau se trouve le blocage”. “Lorsqu’on entend le discours du président de la République, nous sommes confiants, mais la réalité du terrain est tout autre”, s’est-il désolé. » (Le Jeune Indépendant, 25 décembre 2023).
Est-il besoin de commenter ? Le dirigeant syndical n’a de cesse de demander de collaborer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la casse du statut de la Fonction publique.
À l’opposé des suppliques des dirigeants syndicaux pour être associés à la mise en œuvre des contre-réformes du gouvernement, une succession de mobilisations dans des secteurs-clefs de la Fonction publique avaient ponctué l’année 2021. Dès le printemps 2021, on avait vu se développer de nombreuses grèves, chez les postiers, les pompiers, dans la santé et l’éducation.
Dans ce dernier secteur, la grève s’était développée de façon spontanée à travers le pays, avec une aspiration explicite à l’unité et à la centralisation du mouvement (rappelons que cette corporation est totalement morcelée en raison de la multiplicité des organisations syndicales qui y existent…). Nous écrivions le 18 avril 2021 :
« Partout les manifestants, grévistes, dans leurs établissements ou en sit-in devant les rectorats et directions d’académie, ont mis en avant la revalorisation du point indiciaire pour qu’il passe de 45 à 120 DA, confirmant par là-même leur attachement au statut de la Fonction publique. (…)
Depuis la mi-avril, en particulier depuis le 17 dans les wilayas de l’Ouest, des mouvements de grèves spontanés sont engagés et sont suivis par une grande majorité des enseignants des trois paliers, rejoints par les autres travailleurs de l’éducation nationale, ceux des corps communs avec leur organisation syndicale.
Le plus souvent les organisations syndicales du secteur se sont trouvées « débordées » par ce mouvement même si localement, des syndicalistes de base prennent en charge l’organisation de ces grèves, manifestations et sit-in. “À Oran les manifestants ont même envisagé la nécessité de se rendre à Alger si la tutelle fait la sourde oreille” (Liberté du 18 avril 2021). (…)
Les dirigeants des organisations syndicales n’ont jamais manqué d’appeler à des journées d’actions ici et là, à “multiplier les luttes”, mais ce dont ont besoin ces travailleurs et personnels de l’éducation, c’est de frapper ensemble. De toutes les wilayas citées dans la presse de ces derniers jours, Oran, Aïn Témouchent, Tlemcen, Sidi Bel Abbès, Saïda ou Mascara, Alger, Boumerdes, Tizi Ouzou, Bouira ou Bejaïa, Jijel, Mila, Annaba, Constantine, Adrar ou Biskra s’élève une revendication centrale : augmentation des salaires pour rattraper le coût de la vie et se traduit par la revalorisation du point indiciaire à 120 dinars.
N’est-il pas temps que tous les dirigeants des organisations syndicales du secteur ainsi que ceux de la « coordination » des enseignants du primaire s’unissent enfin pour appeler à une manifestation centrale nationale à Alger, au ministère, pour exiger l’augmentation générale des salaires ! Cette manifestation unitaire, nationale et centrale à Alger nécessite d’appeler à une grève générale nationale pour la réaliser. C’est de la responsabilité des dirigeants des organisations syndicales du secteur tous corps confondus d’y appeler. »
Pourtant à l’encontre de cette orientation, les dirigeants syndicaux, d’abord débordés par l’ampleur de la mobilisation, avaient condamné ce mouvement qui, selon eux, n’était pas appelé par les organisations syndicales. Dans un second temps, ils ont multiplié les journées d’actions disloquées, en prenant soin de ne pas reprendre la revendication essentielle qui était l’augmentation de la valeur du point d’indice, tout en allant discuter auprès de la « tutelle », en dévoyant la mobilisation, en réclamant la mise en place d’un statut particulier des enseignants (qui est en réalité l’objectif de la « tutelle » dans le cadre de la destruction du statut des fonctionnaires, voir plus haut), et la mise en œuvre de la « réforme de l’éducation », dont l’objectif affiché par le régime est de remettre en cause le droit à l’instruction par l’allégement des programmes, et de supprimer des postes d’enseignements. Le résultat de cette politique a été un reflux de la grève.
Depuis, plus rien ou presque du point de vue de la lutte des classes. Il y a certes localement des grèves (pour le paiement des salaires, contre la liquidation d’entreprises publiques,…), le plus souvent isolées et sans perspective. Il y eut des tentatives de combats contre l’adoption des lois antisyndicales, avec notamment la très forte mobilisation au sein de l’UGTA pour exiger le retrait des lois antigrèves et antisyndicales (manifestation au siège de l’UGTA lors de la commémoration de l’assassinat en 1997 du secrétaire de l’UGTA Abdelhak Benhamouda), mais elles sont restées sans lendemain : d’une part, parce que toutes les centrales se limitent à vouloir amender les textes (et non à en exiger le retrait), d’autre part, parce que le pouvoir intervenait au sein même de l’UGTA pour débarquer le secrétaire général de l’époque (Labatcha) qui s’était avéré incapable de conjurer la fronde.
Depuis, les dirigeants de la centrale sont rentrés dans le rang et apportent un soutien indéfectible au régime. Il y a fort à penser qu’ils prendront position pour Tebboune lors de la prochaine échéance électorale.
On doit le constater : les derniers mouvements d’ampleur de la classe ouvrière se sont clos avec la tentative de mobilisation contre les lois antisyndicales. Une véritable chape de plomb s’abat aujourd’hui sur le prolétariat. Ce sont les conséquences de la défaite orchestrée par la trahison des dirigeants des appareils syndicaux et des groupes et organisations se réclamant de la classe ouvrière. Passer à côté ou nier cette évidence ne peut que conduire à la mise en œuvre d’une orientation erronée, qui se traduit notamment par la mise en avant du slogan de « manifestation centrale à Alger », en dehors de tout contexte, alors que ce mot d’ordre était au contraire nécessaire au moment de l’adoption des lois antisyndicales.
Dans l’immédiat, le combat à mener est celui pour imposer la rupture des dirigeants des organisations syndicales avec le pouvoir, pour qu’ils se prononcent pour le retrait des lois et projets de pulvérisation des statuts des fonctionnaires, et qu’ils organisent le front unique pour structurer la mobilisation des travailleurs de la Fonction publique. C’est dans ce combat que peut être envisager de regrouper une avant-garde luttant pour la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire.
Dans ces efforts pour rétablir le régime, la junte militaire a besoin d’une légitimation qui passe par l’opération plébiscitaire que constitue la prochaine élection présidentielle. La succession des différents processus électoraux inaugurés avec l’élection de Tebboune en 2019, avait déjà cet objectif. Mais les braises du Hirak ne s’étaient pas totalement éteintes. La trahison des bureaucrates, qui ont permis que le processus électoral se réalise, n’a pas suffi, au vu de l’abstention massive lors de l’élection présidentielle de 2019.
Il leur faut donc aujourd’hui qu’une élection se déroule sans accroc. Le dispositif est en place : inutile de préciser que l’élection n’aura aucun caractère démocratique. La constitution a été réformée dans un sens qui permet de criminaliser toute attaque contre la présidence au nom de l’atteinte à la sûreté de la nation, de l’état… Ajoutons à cela le parcours du combattant à effectuer pour obtenir les signatures nécessaires pour être candidat, et surtout le fait que le régime, qui ne peut s’accommoder d’une candidature ouvrière indépendante, a aujourd’hui tous les moyens pour l’en empêcher. Seuls les partis disposés à accepter d’avance l’élection de Tebboune pourront jouer le rôle de « lièvres », dans la perspective d’en tirer des subsides…
D’ores et déjà, Tebboune bénéficie du soutien de plusieurs partis politiques. Le parti El-Karama, le Front du militantisme national (FMN), le Rassemblement national démocratique (RND) et le Mouvement El Bina ont annoncé à la fin du mois de mai leur appui à sa candidature. Ces deux derniers, aux côtés du Front de libération nationale (FLN) et du Front El Moustakbal, ont récemment formé une alliance politique visant à réaliser un consensus national.
Plusieurs autres personnalités politiques ont déjà annoncé leur candidature. Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP) et Belkacem Sahli, secrétaire général de l’Alliance nationale républicaine (ANR), ont déclaré leur intention de participer.
Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), auquel il faut ajouter le Mouvement pour la société et la paix (MSP), le Front des forces socialistes (FFS), qui a confirmé sa participation et annoncera bientôt son candidat.
Quant au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), il prendra sa décision à la fin du mois de juin, tandis que le parti Jil Jadid de Soufiane Djilali n’a pas encore annoncé s’il participerait ou pas au prochain scrutin présidentiel.
Au fond, c’est dans les vieux pots qu’on nous sert la soupe ! Et pour pimenter la recette, examinons les conditions qui doivent être réunies pour pouvoir se présenter. Chaque candidat doit fournir soit une liste de 600 signatures d’élus locaux ou nationaux répartis dans au moins 29 wilayas, soit 50 000 signatures d’électeurs inscrits, également réparties sur 29 wilayas, avec un minimum de 1 200 signatures par wilaya. Les signatures doivent être recueillies sur des formulaires individuels et légalisées par un officier public.
Un véritable parcours du combattant pour tout candidat qui envisagerait de se présenter sans faire partie du sérail, sans oublier le sort réservé à des centaines de militants politiques, de journalistes ou opposants qui croupissent encore dans les geôles du régime, que la presse indépendante a été interdite, que certains partis ont vu leurs activités suspendues et sont victimes de la répression, ce dont nous avons déjà parlé plus haut.
Mais arrêtons-nous sur le PT, de Louisa Hanoune, qui prétend parler au nom des travailleurs. Lors du conseil national de son parti, elle a mis fin au faux suspense qu’elle entretenait autour de sa candidature. Elle sera candidate à cette élection, et ce n’est pas une surprise quand on connait son allégeance au régime depuis des décennies.
Le 7 avril 2024, à la suite d’une énième rencontre avec la présidence, la secrétaire générale du PT donnait une interview au journal l’Expression (porte-voix des intérêts du patronat algérien et du régime). À la question concernant la position du PT à l’occasion de la présidentielle, elle feint d’abord d’éluder, en expliquant que sa priorité est le drame palestinien à Ghaza. Tout en dénonçant le génocide, elle se joint au concert des prétendus soutiens au peuple palestinien, qui s’en remettant de façon indirecte aux instances internationales (ONU, CIJ, etc.), qui reprochant à Netanyahu de ne pas « respecter les résolutions de l’ONU ». Ainsi indique-t-elle :
« Cela sans oublier son refus d'appliquer la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui l'oblige à un cessez-le-feu immédiat et à l'accès sans condition de l'aide humanitaire. Son comportement relève de l'Holocauste. Il y a des juifs aux États-Unis, en Europe et à l'intérieur même de l'entité sioniste, dans les frontières de 1948, qui condamnent ces pratiques nazies.
Le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui ne reconnaît aucune instance internationale, ni le Conseil de sécurité, ni la CIJ, ni la CPI, ni les centaines de millions d'êtres humains qui manifestent tous les jours sur tous les continents depuis six mois pour que cesse le massacre, ni les gouvernements, en nombre croissant en Occident, qui exigent le cessez-le-feu et l'ouverture des passages pour l'acheminement de l'aide alimentaire en quantité suffisante. Tout le monde a constaté que le largage de ces aides par air et l'acheminement par mer ne répondent non seulement pas à l'immense demande qui s'exprime à Ghaza, mais c'est aussi une opportunité criminelle pour l'entité sioniste de tuer des Palestiniens affamés venus récupérer l'aide. »
C’est un alignement complet derrière les « gouvernements [bourgeois d’] Occident ». Elle donne ensuite un blanc-seing au régime algérien, alors même qu’il s’est opposé de façon criminelle à toute expression de la solidarité du peuple algérien avec les Palestiniens (voir plus haut). Reprenons la citation :
« L'Algérie a toujours été au rendez-vous et honoré ses engagements financiers auprès de l'Autorité palestinienne...
L'État [souligné par nous] et le peuple algériens ont une position claire : soutien inconditionnel au peuple palestinien. »
Mais soutenir la position du régime sur la question palestinienne revient à s’aligner sur les positions de l’ONU, cette « caverne de brigands » qui a conduit depuis 75 ans à la liquidation de l’ensemble des droits du peuple palestinien à vivre sur ses terres, du fleuve à la mer ! C’est accepter les gesticulations du pouvoir sur le terrain du « droit international », c’est refuser d’engager le combat pratique en direction des organisations ouvrières pour qu’elles organisent le boycott de l’état d’Israël, de la livraison d’armes ou de la collaboration avec l’entité sioniste !
Toujours dans la même interview, à la question : « Et comment donc allez-vous procéder pour vous positionner vis-à-vis de la prochaine élection présidentielle ? », L. Hanoune répond :
« (…) Pareil rendez-vous est très important parce qu'il permet une mobilisation populaire, un dialogue avec les citoyens. Mais nous formulons quelques craintes concernant la campagne électorale qui se déroulera en plein mois d'août, une période de grande chaleur et de vacances. Pour le reste, nous prenons acte du fait que l'élection a été avancée de trois mois. Cela fait partie des prérogatives constitutionnelles du président de la République (sic !). Nous refusons d'être entraînés dans toute spéculation pour assombrir le climat, semer le doute et des craintes parmi nos concitoyens. Cela dit, on s'attendait plutôt à ce qu'il [le président] retarde le rendez-vous d'un ou deux mois, au motif que selon ses propres déclarations, son mandat a été perturbé par le Covid sans oublier sa maladie, mais je reste convaincue, d'ailleurs je le lui ai dit, que le retard peut être rattrapé par des décisions audacieuses sur les plans politique, économique et social. Il s'agit de réunir les conditions nécessaires à la sérénité et au débat démocratique. »
Par la suite, elle évoque les diverses mesures prises par le régime :
« Les contradictions apparaissent également dans la sphère économique. Cela dit je constate qu'en quatre ans, aucune entreprise publique n'a été privatisée. C'est une excellente chose. Il y a cependant l'ouverture du capital du CPA. Là aussi, je constate certes que cette action ne concerne que les nationaux. Donc pas d'étrangers dans le capital de nos banques publiques mais nos craintes ne sont pas dissipées, car cela participe d'une privatisation partielle à notre avis injustifiée. Et celui qui veut avoir une banque n'a qu'à en créer. La loi algérienne le permet. Le président de la République a d'ailleurs précisé que l'introduction en Bourse du CPA n'est pas irréversible. C'est une expérience qui peut se révéler positive ou négative, auquel cas, nous corrigerons si nécessaire. Mais quand j'entends des responsables dire que l'opération CPA est destinée à renflouer les caisses du pays, c'est très inquiétant. L'Algérie n'a pas de problèmes financiers. Pareil pour les entreprises publiques. L'État a le devoir de les aider. Les privés qui veulent investir n'ont qu'à créer leur propre business et ils le font déjà librement. Le secteur marchand de l'État ne doit pas être vendu à des investisseurs étrangers ni même locaux. Le Premier ministre a donné des instructions pour que les entreprises publiques soient aidées. Nous nous en félicitons. »
Tout dans cette interview serait à souligner. C’est un soutien total, non seulement à Tebboune, au pouvoir, mais aussi au régime capitaliste.
Louisa Hanoune indique dans la foulée :
« Il convient d'admettre qu'il y a l'amorce d'une détente depuis trois mois sur le terrain politique. Nous nous exprimons plus librement. Comme Parti, nous tenons nos réunions, organisons des meetings, des rassemblements sans entraves de la part de l'administration. Nous obtenons les autorisations plus facilement, sur les médias nous sommes beaucoup plus visibles, nos activités sont plus couvertes. Avant, il y avait L'Expression et un ou deux journaux qui rendaient compte de nos activités. Les autres ne le faisaient pas. (…) Pour autant, la question des libertés démocratiques est loin d'être résolue, car cela ne signifie pas que les intimidations et les entraves à l'expression des opinions ont cessé. Et nous continuons à militer et à réclamer l'ouverture franche des champs politique et médiatique et plus généralement l'abrogation de toutes lois liberticides et celles qui caporalisent la vie politique, syndicale, associative...
C'est pour cela que je martèle en direction des responsables à la présidence de la République qu'il est urgent d'ouvrir les médias publics au débat politique, pour que cette crainte se dissipe. »
Louisa Hanoune devrait postuler au poste de responsable des relations publiques de la présidence de la République ! Soutien à Tebboune, défense de son bilan, mais, poursuit-elle : « Il y a encore énormément de dossiers qui sont encore sur la table. On a parlé de la Constitution, l'arsenal de lois qui en a découlé. L'article 87 bis doit absolument être abrogé ou tout au moins reformulé [souligné par nous].
Il faut rappeler que cet article qualifie « d’acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’Etat, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de : semer l’effroi au sein de la population et créer un climat d’insécurité, en portant atteinte moralement ou physiquement aux personnes ou en mettant en danger leur vie , leur liberté ou leur sécurité, ou en portant atteinte à leurs biens, entraver la circulation ou la liberté de mouvement sur les voies et occuper les places publiques par des attroupements, attenter aux symboles de la Nation et de la République et profaner les sépultures, porter atteinte aux moyens de communication et de transport, aux propriétés publiques et privées, d’en prendre possession ou de les occuper indûment. »
C’est cet article constitutionnel qui sert de base à la répression qui s’abat sur les travailleurs, jeunes et militants, et il faudrait le « reformuler » ! Louisa Hanoune enfonce le clou :
« Certes, sur le plan social, il y a la loi de finances 2024, et la loi rectificative de septembre 2023 qui ont intégré des mesures sociales, les grands travaux publics, des projets dans le secteur minier etc., qui vont créer de l'emploi et de la richesse. Nous ne nions pas les efforts qui ont été fournis. (…)
Je peux dire qu'il y a de l'écoute, une certaine disponibilité chez ces responsables qui me semblent s'atteler à résoudre une foultitude de problèmes dont ils sont saisis.
Cela dit, je répète la même chose à chaque fois. Le meilleur des présidents, avec toute la bonne volonté de régler les problèmes, d'améliorer le sort des citoyens, de placer le pays sur la voie du progrès, ne peut réussir que s'il a les institutions nécessaires pour cela. Des institutions qui sont l'émanation de la volonté populaire. »
La messe est dite !
Les révolutionnaires ne sont pas par principe contre la participation à des élections bourgeoises. À l’occasion des élections à la Douma en Russie tsariste au début du XXe siècle, Lénine expliquait qu’il fallait savoir utiliser ce terrain en fonction de l’analyse concrète de la réalité.
Aujourd’hui en Algérie, qu’on le veuille ou non, se présenter à ces élections, revient à cautionner un processus électoral initié et voulu par le régime pour légitimer le Bonaparte dans le cadre du rétablissement de la dictature que le régime est en passe d’imposer. Ils n’avaient pas totalement réussi à le faire en décembre 2019, ils cherchent à le parfaire aujourd’hui. À plus forte raison que cette élection est appréhendée par les masses dans une indifférence doublée d’une certaine résignation. Sans faire de pronostic, il est probable que l’élection aura lieu sans accroc pour le régime, qui sera en mesure cette fois de façonner les résultats en fonction de ses besoins, en masquant un éventuel taux d’abstention qui pourrait être le seul indicateur du rejet par les masses. La réalité, c’est que la classe ouvrière est encore sonnée par la défaite, les éléments les plus avancés ne parvenant pas, à cette étape, à s’organiser pour inverser la tendance.
Le 4 juin 2024